Art martial et tradition

Baudoin Decharneux

Bulletin n°5 – Tradition

  Qu’est-ce qu’un Art Martial ?
a)      L’Art Martial fruit d’une évolution
Il n’est pas inintéressant d’entrée de jeu de définir en quelques mots l’idée d’Art Martial et de tenter de la définir en fonction de généralités ayant trait au champ pédagogique. Il est en effet fort difficile de définir avec précision ce qu’est un Art Martial attendu la multitude de pratiques qui se revendiquent de cette appellation qui n’a rien de contrôlé. Centrées autour de la défense de soi et d’autrui, du développement de la personne sur le plan physique et spirituel, sur une volonté de mieux être et de mieux se connaître, les pratiques martiales revêtent comme on le sait une grande diversité. Aussi, il convient d’aborder la question de l’identité martiale avec ouverture d’esprit et modestie.
On gardera ici présent à l’esprit que les Arts Martiaux actuels sont sans exception le fruit d’une évolution tardive qui, d’un monde féodal où le conflit armé était érigé en principe au nom de codes d’honneur, glissa à la fin du XIXe siècle en Chine, au Japon, en Corée, vers une pratique qu’on pourrait qualifier de spirituelle tout en reconnaissant le caractère éminemment équivoque de ce vocable.   La spiritualisation de l’Art Martial, – certes un processus ancien attribuable à la cohérence symbolique des systèmes traditionnels -, fut accentuée par la prise de conscience de la disparition à brève échéance qui le guettait dans un monde colonial où la valeur guerrière d’un homme était appelée à peser de moins en moins face à une technologie militaire en plein essor. L’Art Martial moderne est de ce point de vue la conséquence d’une fuite en avant.
La prise de conscience de la valeur martiale sur le plan éducatif, son caractère emblématique pour de nombreuses personnes en quête d’identité, sa dignité traditionnelle opposable à un monde dont l’efficacité paraissait écrasante, en firent un lieu dynamique d’oppositions et de reconstruction. Ainsi, l’aspect violent et militaire des Arts Martiaux, déjà sublimé par les valeurs religieuses qui s’en étaient emparés, – on pense ici à certains courants du taoïsme en Chine ou au bouddhisme zen japonais -, furent peu à peu dépassés et remplacés par un idéal chevaleresque.
Le caractère tardif de cette évolution en Orient contribua à la renommée des pratiques nées dans ces pays qui avaient conservé un caractère plus traditionnel. On se souviendra que l’Occident subit une évolution analogue trois siècles auparavant. Le fameux Don Quichotte de Cervantès, – un homme qui vécut la fameuse bataille de Lépante perdant un bras lors de ce conflit entre Chrétiens et Turcs, qui vit pour la première fois le triomphe de navires vénitiens cuirassés -, illustre magistralement ce glissement d’un monde médiéval vers un univers moderne faisant peu de cas de la valeur d’un seul au combat. La sublime chevaleresque se mue en ridicule renaissant.
b)      Qu’entendons-nous par Art ?
L’examen de la notion d’Art est nécessaire afin de mieux appréhender la portée de l’expression « Art Martial » qui est devenue si familière que nous oublions de nous interroger sur sons sens. L’art en effet dépasse par définition la technique pour nimber cette dernière d’un rayonnement supposé enrichir sa qualité sur le plan esthétique, singulariser sa perception et orienter son interprétation. Il est en effet une différence immédiatement perceptible entre faire du bruit ou jouer de la musique, enduire un mur de peinture ou un créer un tableau, esquisser quelques pas ou danser.  On pourrait multiplier les exemples à l’envi. La beauté de l’art réside dans sa singularité. Entre tradition, l’apprentissage technique, et instant, le beau est un dévoilement. Le tao n’enseigne-t-il que c’est parce que tout le monde tient le beau pour beau qu’en cela réside sa laideur.
Si l’on accepte l’approche de la notion d’Art qui précède, on mesure la pertinence du rapprochement avec la pratique martiale. L’art est à la fois créatif et questionnement ; il est le fruit d’une tradition mais atteste d’une innovation ; il dépasse l’appréciation subjective pour accéder à une forme de reconnaissance collective. Intimement lié à la société, à la culture, aux mentalités, il dépasse ces composantes pour les représenter en les questionnant. Une sculpture de Michel-Ange est de l’art en soi, aussi dépasse-t-elle les paramètres socio-culturels de la Renaissance où elle fut créée pour être significative sur le plan universel, quelque soit le lieu, le temps, la personne. Il en va de même pour une symphonie de Mozart, un texte de Platon ou un aphorisme de ce vieux sage que nous nommons de façon redondante Lao-Tseu.
 
Sans entrer plus avant dans un raisonnement qui dépasserait notre propos, on gardera présent à l’esprit que l’Art Martial présente des analogies surprenantes avec cette approche de l’art. Tout d’abord, il est issu d’une tradition mais il se modifie à mesure où ceux qui le transmettent l’intègrent et l’adaptent. Il est un questionnement sur la pratique et, tout en faisant partie d’un processus collectif, – je travaille telle forme de tel art martial -, il est l’objet d’une appropriation. Il est reconnu en tant qu’art par une collectivité et en même temps il développe le sens critique de chaque adepte. Entre l’appartenance et la singularité, l’Art Martial trace une voie signifiante qui dépasse sa finalité propre.
 
•  L’homme
a) Désir d’efficacité ou quête de renouveau ?
Le rapport à l’homme et à ses aspirations profondes en termes de développement, de réalisation de soi, d’équilibre et d’harmonie est un des repères fondamentaux des pratiques martiales. Tous les pratiquants savent combien ceux qui viennent vers l’Art martial sont habités par ce type de questions. Nous rencontrons au quotidien des enfants et des parents cherchant à se rassurer, à se développer, à mieux vivre leur relation à l’autre ou l’un avec l’autre ; des adolescents à la recherche de repères et d’une dynamique de groupe positive ; des adultes cherchant un sens par rapport à une vie jugée atone ; parfois, nous voyons des personnes venant se rassurer, réparer une frayeur ou une agression. Ces aspirations diverses (en termes de motivation, d’image, de projection) constituent une des difficultés pédagogiques majeures pour qui veut enseigner ces disciplines même sous la forme d’une initiation.
Certaines personnes qui fréquentent aujourd’hui les salles d’entraînement n’ont plus le même profil que le pratiquant classique que l’on rencontrait il y a quelques années. Un nombre significatif de pratiquants sont bien sûr attachés à une image d’efficacité ou à une conception sportive de la pratique de leur discipline, mais il faut noter qu’un nombre grandissant de personnes, viennent dans une toute autre optique. Le succès de disciplines comme le Tai-chi atteste de cette évolution vers une pratique élargie à des tranches d’âge qui ne fréquentaient guère les salles d’entraînement et n’en sont pas moins enthousiastes pour leur nouvelle passion.
Le succès actuel, effet de mode et de marketing, d’une utilisation des techniques martiales dans le but de s’amuser, – bouger en musique -, ou de perdre du poids (fitness) ou de rencontrer des amis, est tout aussi indicatif d’une évolution que nous devons prendre en compte de façon positive si nous ne voulons voir l’Art Martial disparaître à moyen terme. Le côté « fun » des mouvements, l’association à l’idée d’une détente active, le rejet de la technique ou du sérieux, sont des facteurs qu’il faut intégrer dans notre réflexion. Tandis que certains cherchent dans les do-jo (do-jang) un havre de paix, un lieu de méditation, d’autres y transpirent allégrement au son de musiques répétitives. Face aux défis de la modernité, les maîtres sont souvent comme des tortues sur le dos. Entre défaitisme et jeunisme, ils ratiocinent d’antiques poncifs évoquant la tradition comme les nécromanciens le font pour les spectres. Peut-être faudrait-il inverser le raisonnement. La nature même de la maîtrise n’implique-t-elle pas de témoigner d’un tel bouleversement ?
b) La valeur humaine de l’Art Martial
La valeur interculturelle et intergénérationnelle de l’Art Martial, son rapport à la santé, son « efficacité symbolique » sur le plan psychologique, constituent des atouts indéniables qui centrent cette pratique autour de l’humain et sa diversité tout en ménageant une approche plurielle de la pratique. Si l’Art Martial est en soi une valeur, c’est bien parce qu’il dépasse les caractéristiques et les aptitudes physiques des uns, la prédisposition intellectuelle des autres, pour permettre à chacun, à tout âge, sans discrimination (y compris sociale), de poursuivre une voie. Cette spécificité est occultée lorsqu’on limite la pratique à la compétition sportive, à l’effort physique ou à la détente bienfaisante. La pratique physique constitue toutefois une « accroche » fort importante pour la majorité des pratiquants. On vient pour le corps, on évolue dans la logique « d’harmoniser corps et esprit ».
Curieusement, c’est la connaissance et l’apprentissage de techniques intrinsèquement violentes qui a mené des maîtres du passé à développer une pratique qui  valorise l’humain. C’est un paradoxe fécond. Il faut aussi constater que certains se complaisent dans la violence.  Il fallait sans doute être confronté à la tragique situation d’apprendre à donner la mort pour développer le respect de la vie ; il était nécessaire d’en passer par la négation de la vie comme valeur pour en mesurer le prix. Ce processus complexe est à l’origine de « l’esprit martial » dont la finalité est le respect de l’autre, l’acceptation de sa différence, et l’apprentissage de la compassion.
Si les lignes qui précèdent peuvent sembler des lieux communs, il  n’en reste pas moins  qu’oscillant entre des histoires tirées d’une mythologie de pacotille et des images mettant en scène une violence amplifiée par l’imagerie télévisuelle et ludique, le monde des Arts Martiaux souffre encore d’un relatif discrédit.
Disons-le sans intention polémique des images  tirées de championnats, voire d’Olympiades, ne sont pas pour rassurer quant à la compréhension même superficielle des valeurs précitées. Nous prônons donc une approche combinée (surtout pour les jeunes) : effort physique contrôlé, respiration (méditation), éléments de rituel, … L’art martial présente l’avantage de capter le pratiquant par l’agir. Curieusement trop parler de philosophie le réduit ou le dénature.
 
 
Art Martial, Sports de combat, Société du spectacle…
 
a)      L’efficacité et ses limites
 
L’efficacité est au cœur des préoccupations de nombreux pratiquants. Ceci est somme toute bien légitime. On s’inscrit à des cours de natation pour apprendre à nager ou on apprend une langue étrangère pour la parler. L’efficacité devrait d’ailleurs être une préoccupation de tout pratiquant, y compris les plus gradés, attendu qu’elle conditionne pour une grande part la pratique, les techniques, les spécificités d’un Art donné.
Comment dès lors acquérir la certitude de l’efficacité en garantissant la sécurité d’autrui et la sienne ? Ce vieux débat est loin d’être clos. La compétition est une réponse possible à cette question qui taraude bon nombre de pratiquants et d’enseignants. Confronter les techniques, accepter la défaite, découvrir son efficacité, est un moyen de vérifier la qualité ou la faiblesse de l’apprentissage. Toutefois, pour prémunir les compétiteurs des risques majeurs qu’ils encourent, des règles sont nécessaires : arbitrage, limitation des techniques, interdiction de frappes ou de prises jugées dangereuses, entraînements spécifiques aux techniques autorisées.
Aux limites, qu’entraînent nécessairement toute forme de compétition, s’ajoutent les dérives inhérentes à toute pratique sportive. Les plus graves sont le surentraînement, le détournement des techniques, les accidents physiques, la commercialisation outrancière, la récupération politique.
Les plus éminents des spécialistes des Arts Martiaux ont noté dans des publications que la pratique intensive mène inexorablement à l’abandon de la discipline pour des raisons physiques (il est clair que l’encadrement par des enseignants formés sur le plan de l’éducation physique est sur ce point essentiel) ; en outre, la réduction des techniques aux seules compétitions entraîne l’illusion de l’efficacité, attendu que celle-ci n’est testée que dans un contexte ritualisé. Le débat sans cesse ravivé dans chaque café du commerce, – qu’est-ce qui est le plus efficace ? -, assorti du fameux, – moi, je…-, est révélateur de cette obsession naïve qui nivelle l’Art Martial au niveau de la violence ou du combat de coq.
On ne peut enseigner l’art martial sans sensibiliser aux effets de la violence non contrôlée.C’est à cet endroit qu’une intégration du « philosophique » dans la pédagogie est capitale.
            b) L’écueil pseudo-mystique
Le refus de toute forme de confrontation est également discutable. En se drapant dans des techniques « à ce point redoutables qu’elles ne peuvent être pratiquées » ou dans des jeux de rôle dont les aspects stéréotypés n’échappent qu’aux seuls pratiquants, ne risque-t-on pas de verser dans un ésotérisme orientalisant qui ne se distinguerait du cinéma que par l’absence d’effets spéciaux ? L’effet « secte » ou « gourou » existe bel et bien dans le monde des Arts Martiaux et il convient de le dénoncer aussi fermement que les dérives précitées. Les dégâts psychologiques d’une pratique biaisée sur le plan moral ne seront jamais quantifiés, mais leur impact, notamment sur de jeunes esprits en cours de formation, ne peut être négligé parce que non quantifiable.
La société du spectacle donne des Arts Martiaux une image biaisée et détestable. Entre les séances de casse forcenée, – parfois de truquages évidents -, les films d’une irréalité aussi grande qu’est la violence dont ils font une apologie implicite ou la musculation anarchique, il est bien difficile de tracer un chemin un tant soi peu responsable et cohérent. Disons-le sans ambages, média et Art Martial font mauvais ménage. Comment dès lors être un professionnel responsable ? Comment assurer un enseignement de qualité sans verser dans l’un ou l’autre excès ? Comment ne pas décevoir avant d’avoir commencé ?
Au risque de paraître trop pragmatique, le caractère fermé du marché européen et l’abondance de l’offre, ont renforcé des comportements visant des « effets marketing » contreproductifs. Le déballage de muscles ou les séances de casse font partie intégrante de cette « stratégie » qui dénature l’Art Martial en tant que tel. Ainsi, une pratique qui a son intérêt (muscler son corps ou effectuer une casse spécifique) est devenue un « effet d’annonce » faisant l’objet de nombreuses surenchères. Les effets directs de ces exhibitions visant à attirer le « client » sont une altération de la santé des pratiquants et une médiatisation inadéquate de la pratique. Il faut noter à cet endroit que, la fameuse mondialisation aidant, ces dérives touchent maintenant le monde oriental.
Il apparaît donc bel et bien qu’un équilibre, une harmonie et une rigueur, sont nécessaires pour éviter les effets pervers que nous venons d’évoquer brièvement. Il apparaît ainsi qu’une communication objective avec les pratiquants, les parents, les enseignants, est nécessaire. Celle-ci viserait à orienter la pratique dans un sens constructif en écartant une conception du sport élitiste, un ésotérisme pseudo oriental, une surenchère médiatique.
 
• Art Martial, pratiques et santé
 
a) Quand j’étais jeune, j’ai fait…
 
Les effets positifs de l’activité physique sur la santé sont démontrés de longue date. Certes les excès que nous avons fustigés existent, ils sont liés à la notion de performance, mais fort heureusement ce préjugé est souvent stigmatisé. Encore faut-il ajouter que dénoncer les idées reçues, voire communiquer sur leur fausseté, ne change pas nécessairement les mentalités.
Plusieurs indicateurs sont troublants et méritent d’être évoqués ici.
a)      Le modèle hyper compétitif des sports qui est véhiculé par les médias est renforcé par une pratique généralisée de sports axés sur la compétition. Un cercle vicieux est ainsi créé sur le plan social. Il est difficile d’expliquer à un enfant que perdre est une valeur…
b)      Un enfant souffrant d’une limitation (physique ou psychologique) ne peut se valoriser dans une pratique physique qui le met dans une compétition inégale avec un autre. Le culpabiliser n’a aucun sens.
c)       Les adultes dopés altèrent leur santé en raison d’une idée fausse du sport qui leur a été inculquée. Ils reproduisent un modèle infantile.
d)      Le modèle hyper compétitif associé à l’image d’une éternelle jeunesse n’est pas viable à terme. Le désinvestissement est donc compréhensible. Nous sommes entourés de personnes qui « ont fait », « étaient », « ont gagné », etc.
Il apparaît ainsi que ce débat de société est dominé par des images, des préjugés, des attitudes, qui ne correspondent à aucune réalité sinon des intérêts parallèles à la santé.  Si le sport est longtemps apparu comme une valeur, attendu ses vertus éducatives (valorisation de l’effort, façon de s’affirmer, renforcement des aptitudes, apprentissage de la vie commune, réalisation d’objectifs seul ou en équipe, etc.), l’évolution du sport professionnel est alarmante sur le plan éthique. Les grandes « fêtes » du foot, du cyclisme ou de l’athlétisme laissent songeurs, même s’il importe de faire la part des choses entre la médiatisation des « affaires » et la réalité du terrain.
            b) Le bon vieux temps…[1]
Les mouvements inspirés du « New Age » et les valeurs qu’il véhicule depuis trois décennies, apparaissent comme une sorte de réaction à un état de fait commercial et médiatique qui occulte l’essentiel pour réduire l’homme à l’accessoire. Les effets positifs de cette façon de lire le monde en termes de bien-être, de santé, de construction personnelle, de valorisation du lien, d’écoute, sont incontestables. Il faut toutefois également noter que sur le plan de la santé les effets peuvent être désastreux.
La mécompréhension des médecines parallèles orientales (réelles ou imaginaires) en dehors de leur contexte est alarmante. Ainsi l’état de confusion entretenu entre des discours symboliques et l’effectivité supposée des mêmes discours sur les santés, serait risible si il n’était cause d’abus de confiance, d’erreurs thérapeutiques, d’illusions. Les Arts Martiaux, nimbés du prestige des mystères de l’Orient pour certains naïfs, n’échappent pas à cette règle. Comment peut-on prétendre enseigner à une personne qu’elle maîtrisera l’énergie du Tout après un séminaire de trois jours ? Comment qualifier des pratiques paramédicales anarchiques supposées éliminer des maux que la médecine conventionnelle peine à soulager ? Certes, la recherche du bien-être est légitime et certaines pratiques peuvent y contribuer. Il serait toutefois irresponsable de balayer du revers de la main les acquis des sciences au nom d’un mal-être existentiel flou.
La manipulation des personnes au travers de pensées se revendiquant de l’Orient est inadmissible, attendu qu’elle s’appuie et se nourrit du mal-être, de la souffrance, voire de la maladie d’autrui. L’exploitation de la fragilité ne peut être acceptée au nom de traditions par ailleurs réservées sur ces questions. Nous touchons ici la délicate question de l’ignorance et de la crédulité.
Les Arts Martiaux, s’ils sont bien compris, relèvent d’une pratique pluridisciplinaire (éducation physique, psychologie, philosophie, médecine (au sens thérapie), enseignement, …). Chacun devrait avoir la modestie d’accepter ses lacunes dans un des domaines précités, aussi une approche collective est nécessaire afin d’actualiser les connaissances, mettre en perspective les savoirs, éduquer de façon continue, …
 
•  Enseigner, éduquer, transmettre
 
a) Enseigner est un aussi un art…
 
A un certain niveau, celui qui pratique un Art Martial est amené à enseigner. Ceci est d’ailleurs un des moteurs de l’apprentissage personnel car les Anciens n’ignoraient pas qu’on ne peut apprendre si l’on n’enseigne soi-même, qu’on ne peut recevoir que si on a appris à donner. Cette belle considération philosophique ne doit pas, à la manière de l’arbre qui masque la forêt, cacher une réalité : le plus grand nombre des enseignants ne sont pas formés.
Être un bon pratiquant sincère et motivé n’entraîne pas devenir un bon enseignant ; brandir des « Dans » ou autres diplômes barbouillés de glyphes orientales n’a que peu de rapport avec un apprentissage concret de l’enseignement ; avoir acquis des titres en compétition n’est pas synonyme de qualité pédagogique. Qu’on ne s’y trompe pas, il est d’excellents enseignants sans diplôme et de mauvais professeurs écrasés sous le poids des papiers qu’ils ont gagnés de haute lutte ; toutefois, il est difficile d’accepter que l’on confie sa santé, ses enfants, ses proches, soi-même, à des personnes n’ayant aucune qualification pédagogique.
Au-delà des aspects concrets entourant la formation continuée des « cadres » et du partage des connaissances et pratiques, un point philosophique mérite d’être relevé à cet endroit de notre réflexion. L’éducation individuelle, sélective et compétitive qui caractérise en général des systèmes d’enseignement, et plus particulièrement l’éducation sportive, est une source de progrès personnel et social, mais aussi une conception réductrice de la société et de l’autre. Si notre système d’enseignement (tous réseaux confondus) s’efforce d’échapper à ce piège éducatif auquel on pourrait lapidairement accoler la formule du philosophe « la guerre de tous contre tous », il n’en reste pas moins que l’image réfléchie par les moyens de communication contemporains ne cesse de valoriser un monde où performance, sport et argent vont de concert.
            b) Si on parlait d’ego ?
L’inflation constante de l’ego, est préjudiciable au développement harmonieux de la personne. Une société où un enfant difficile est jugé positivement comme « ayant du caractère », où la réussite sociale est associée au droit et au besoin d’écraser l’autre, où celui qui s’impose doit manifester une personnalité impossible à vivre, n’est pas viable à brève échéance.Sur ce point, les sociétés traditionnelles, et parmi leurs pratiques notamment celles des Arts Martiaux, ont encore beaucoup de choses à nous apprendre.
Afin d’éviter les modèles centralisateurs qui, à terme, ne privilégient que la visibilité et le profit ou le laisser-faire commode, il serait souhaitable que des possibilités de formations continues existent dans le milieu des Arts Martiaux. L’Art Martial authentique est fait pour être partagé ; la mise en lumière de sa richesse et de sa pertinence pour notre société en quête de repères et de structures me semble une question d’avenir.
 
Conclusions
Certes les pratiques martiales ne sont pas le fin mot ou la panacée qui permettra à notre petit monde de se porter mieux. Chaque époque a rencontré ses difficultés et le monde n’était certainement pas plus humain dans la Chine antique, en Corée sous les Tang ou au Japon médiéval. Fuir dans le passé, vers les objets, les autres ou même en soi n’a jamais été une solution durable pour résoudre les questions que la vie nous pose. Il nous faut être là. 
Les pratiques martiales traditionnelles sont sans nul doute une ouverture vers une autre dimension de l’humain qui fait défaut lorsqu’on se borne à payer le prix des apparences et des mondanités. Loin du tumulte des stades, des médailles, des casses, des fantasmes de gloire, de pouvoir et de réussite, ils peuvent apprendre à vivre autrement que par procuration.
 
 
[1] Je me permets de renvoyer ici aux travaux d’Eric Caulier qui mettent fort bien en perspective les aspects symboliques de l’Art Martial tout en soulignant les genres littéraires auxquels appartiennent leurs textes fondateurs. La mise en perspective critique souligne la portée spirituelle de l’Art sans verser dans les manipulations pseudo-ésotériques qui sont malheureusement le lot de nombreuses publications. Son dernier ouvrage « Taijiquan, Mythes et Réalités » est un modèle du genre.