Autorités

• Traits généraux

La question de l’autorité est de celles qui reviennent, sous de multiples formes, tout au long de l’histoire… En fait, il n’est sans doute pas de question qui ait autant occupé les sociétés humaines.

Quelle est l’autorité suprême ? Celle de Dieu ? Celle du roi ?  Celle du chef de l’armée victorieuse ? Celle du petit chef local ? Autant de questions qui, ici et là, agitèrent les controverses… .  

Notons qu’une autorité suprême, là où elle est attribuée à Dieu, a toujours signifié le pouvoir d’un clergé. Quel que soit le nom de l’institution de salut, le groupe des prêtres –intermédiaires reconnus entre les hommes et le Dieu local- a toujours joué un rôle particulier.

C’est d’ailleurs cela qui est mis en question par cette loi de séparation de l’église et de l’état qui, en France, en 1905, instaurait une perspective nouvelle, même s’il n’en est pas toujours bon usage . Au regard de l’histoire, cet aboutissement a certainement des racines anciennes : une incroyance au seizième siècle (que l’on pense à Montaigne…), les « Lumières », la révolution… Bref, un long passé que d’autres civilisations n’ont jamais connu.

A cet égard, on peut rappeler que ‘abd el Wahâb (le père du wahabisme) meurt peu après la révolution de 1789. Cet Islam rigoriste s’est durablement mis en place dans un pays (l’Arabie séoudite) où une philosophie des Lumières eût été inconcevable !     

Deux mots sur cette controverse qui rompait avec des siècles de domination religieuse en Europe. Pendant des siècles, Europe et christianisme allèrent de pair. En sorte qu’il ne faisait pas bon être européen et n’être pas chrétien. Les juifs ont vécu ce problème, comme aussi les chrétiens protestants là où ils étaient en minorité. Evidemment, bien avant la Réforme protestante, les juifs ont vécu les expulsions, les pogroms, les discriminations de toutes sortes.

Puis est venu, en France, la loi de séparation de l’église et de l’état. Toutes les autorités religieuses sont donc, en principe, soumises à la loi. On a oublié, aujourd’hui, les formidables polémiques de cette époque. La loi scélérate, l’état sans Dieu… Les députés qui ont voté cette loi ont d’ailleurs été excommuniés. Et l’excommunication pouvait, à l’époque, être une difficulté, dans plusieurs milieux !

Pour autant, presque personne, aujourd’hui, ne remettrait en question cette loi. Une république laïque respecte tous les cultes, toutes les croyances… comme aussi l’athéisme et toutes les formes de libre pensée. Tous les citoyens sont soumis à la même loi, laquelle n’a jamais été antireligieuse : il faut, parfois le rappeler. D’autant que la religion chrétienne –outre qu’elle est inscrite dans notre histoire- n’a jamais perdu le chemin de l’essentiel. Nous y reviendrons…

Un fait nouveau, cependant, est  l’Islam qui, inconnu des sociétés européennes anciennes, est bien présent aujourd’hui. Or les sociétés musulmanes n’ont jamais connu une telle séparation entre le domaine religieux et le domaine civil. Il faudra donc que nos compatriotes musulmans adaptent leurs traditions religieuses à cette réalité : Il n’est pas d’autorité supérieure à la loi générale qui est celle de tous les citoyens, croyants ou non. Telle est la règle.

Certes, toute communauté définit ses lois. Ce sont elles qui la constitue. Même des loups connaissent une loi de la meute ! Pas de communauté sans loi. Mais la loi crée à la fois contrainte et liberté. Evidemment, les modalités d’application de cette loi souveraine connaissent des variations selon les temps et les lieux. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà…

La loi est aussi créatrice de liberté. Un exemple simple suffira à rappeler cette évidence : La loi oblige à tenir sa droite, sur la route. Dans d’autres pays, c’est la conduite à gauche qui est d’usage. Dans l’un ou l’autre cas, la loi doit impérativement être observée. Ainsi, la liberté de se déplacer est conditionné par le respect de cette obligation. Faute de quoi l’exercice de cette liberté serait follement dangereux !

Mais comme le rappelle le dit talmudique : La loi du pays, c’est la loi. La formulation originale (araméenne) est d’ailleurs intéressante en ce que le mot : dîn signifie « loi » en araméen, « jugement » en hébreu et « religion » en arabe. Ces langues de même famille (sémitique) désignent ainsi par le même mot ces trois réalités. 

Dans tous les cas, l’autorité est présente. Dans les religions monothéistes, l’autorité suprême est celle de Dieu. Certes, les autorités sont nombreuses, mais toutes sont soumises à cette autorité suprême. Nous verrons que cette affirmation fondamentale a, depuis longtemps, suscité beaucoup de controverses.

Dans le même temps, il importe de défendre ce qu’on appelait « vie spirituelle ». Une loi religieuse n’est pas la loi commune de nos sociétés. Pour autant, une erreur serait d’oublier que la religion de nos ancêtres a parfois signifié une quête essentielle que rien ne peut remplacer. Le langage peut changer : pour autant, il serait faux d’assimiler toute attitude religieuse au maintien de coutumes anciennes dépassées.

 

• Dieu, pouvoir suprême…

Une telle affirmation peut sembler inactuelle dans une société comme la nôtre. En tout cas, il faut, sans esprit partisan, y regarder de plus près….

Le pasteur d’un village, en Haute-Loire (Le Chambon-sur-Lignon) nous fournit ici une belle illustration de cette réalité. Dans ce village, une école protestante accueillait des enfants de toutes origines. Mais c’était alors l’époque où l’état de Vichy se livrait à la chasse aux juifs. Or beaucoup d’enfants juifs avaient trouvé refuge dans cette école. De là, des contrôles suspicieux de la police qui voulait connaître l’origine des élèves.

Dilemme pour le pasteur local qui (officier de réserve, patriote) était amené à tromper la police de son pays. Ce qu’il a fait, cependant, en signant de faux certificats de baptême. Et s’il l’a fait, c’est parce qu’il est écrit : Il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Actes 5, 29).

C’était donc bien un problème d’autorité : Le pouvoir de l’état s’opposait ici à l’autorité de Dieu : il fallait choisir. Dans ce cas, pour ce pasteur, le chemin était clair : Dieu n’est pas contre les enfants ! En sorte que la police d’un état raciste ne peut être obéie aveuglément. Et l’environnement d’alors (les paysans de l’endroit) était favorable au pasteur, sans quoi il eût été bien risqué de protéger les enfants !

Les réalités ne sont pas toujours aussi claires. Il arrive que l’autorité véritable doive être cherchée. Il arrive aussi qu’un seul contre tous,  proclame la vérité. C’est ce que les prophètes bibliques mettent en lumière. 

 De là, l’autorité des prophètes qui sont les porte-paroles, lors même que cette loi n’est pas une loi écrite. Le texte prophétique peut être ancien, mais une parole l’actualise. C’est ainsi que la parole est vivante… Sans quoi, la religion n’est que la répétition de traditions anciennes ou, selon la parole du prophète :

« Un commandement d’hommes, leçon apprise… « 
Esaïe 29,13

Il peut arriver que de soi-disant prophètes prennent le parti de l’autorité royale ou d’une tradition vénérable. Mais le prophète véritable est toujours un isolé. Il peut avoir raison contre tous. En se référant à une autorité supérieure à celle dont se réclament ses opposants. C’est même ainsi qu’il est prophète. Les exemples sont nombreux.

Une illustration est le fameux « discours du Temple » par lequel le prophète Jérémie, dans un moment tragique où le peuple jérusalémite est assiégé par l’armée assyrienne et pense trouver un refuge dans le Temple qui –demeure de Dieu- ne peut être pris par l’ennemi. Et le prophète se place sur le parvis du Temple pour dire ces paroles terribles :

« Parole qui parvint à Jérémie de la part du Seigneur : Tiens-toi à la porte de la maison du Seigneur pour y proclamer cette parole : Ecoutez la parole du Seigneur, vous tous, gens de Juda qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant le Seigneur ! Ainsi parle le Seigneur (Yhwh) des armées, le Dieu d’Israël : Réformez vos voies et vos agissements, et je vous laisserai demeurer en ce lieu. Ne mettez pas votre confiance dans les paroles mensongères : « C’est ici le temple du Seigneur, le temple du Seigneur, le temple du Seigneur…..  « 
                    Jérémie 7, 1-4

Ce discours paraît alors scandaleux ! L’ennemi est aux portes et sa victoire signifierait  la mort de tout un peuple ! Dès lors, on vient se réfugier sur les parvis du Temple : Dieu ne peut permettre que l’ennemi s’empare de Son Saint Temple !

Mais le prophète fait dépendre la protection divine d’un comportement actuel du peuple qui se réclame de cette foi. Il n’y a pas de protection automatique, indépendante de notre manière d’agir !

« Comment pouvez-vous dire :
Nous sommes sages,
La loi du Seigneur est avec nous
C’est bien pour le mensonge  que s’est mis à l’œuvre
Le stylet mensonger des scribes ! « 
                        Jérémie 8,8-9  

Un autre exemple nous est donné par ces paroles du même prophète Jérémie aux prises avec le roi Joyaquim (qui fut toujours un adversaire du prophète). Ces paroles sont d’ailleurs un témoignage sur la constitution de ce qui deviendra le livre des paroles du prophète.

« La quatrième année de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, cette parole parvint à Jérémie de la part du Seigneur : Prends un livre-rouleau ; tu y écriras toutes les paroles que je t’ai dites sur Israël, sur Juda et sur toutes les nations depuis le jour où je t’ai parlé, depuis les jours de Josias, jusqu’à ce jour. Peut-être la maison de Juda prendra-t-elle garde à tout le mal que je me prépare à lui faire, de sorte que chacun d’eux reviendra de sa voie mauvaise ; alors je pardonnerai leur faute et leur péché »
                        Jérémie 36, 1-3

Ce livre des paroles du prophète est lu devant tout le peuple, mais cela déplait au roi qui détruit le rouleau (cf Jérémie 36,23) et ordonne l’arrestation du prophète et de son scribe Mais le Seigneur les cacha… .

Le roi, parce qu’il est roi, pense qu’il a raison et il ne manque pas d’appuis dans son entourage de serviteurs. Le peuple même est dans l’expectative : Qui donc peut avoir raison contre le roi et ses grands ? D’autant qu’il ne manque pas de dignitaires religieux (voire de prophètes officiels)  qui appuient les paroles du roi.  C’est alors que le prophète véritable se dresse seul contre l’opinion de la majorité. Une telle attitude n’est pas sans risques !

Et nous voici renvoyés à ce vieux problème : quelle est l’autorité suprême ? Apparemment, le pouvoir qui est en place a raison. Qui donc pourrait avoir raison contre le petit père du peuple, ou du grand Timonier, ou de tel « conducteur » souverain ? Mais cette autorité est passagère. Sa souveraineté est liée à un état de société. Tout pouvoir, même dictatorial et tout-puissant, est voué à disparaître. 

• Le règne de la Loi 

Dans une démocratie, la loi est seule souveraine. Sa formulation écrite peut être modifiée, en accord avec la société actuelle, mais personne n’est au dessus d’elle. Il est banal de le rappeler, même si, en fait, cette banalité doit toujours être examinée ! Un discours habituel ne devient pas réel par le simple fait d’être affirmé. Les dictateurs aussi se revendiquent d’une loi qui leur est favorable.

Les exemples sont nombreux des puissants qui invoquent une loi contournée afin qu’ils en tirent profit. Un seul exemple suffira ici : Citons le cas du roi Achab qui, incité par son épouse Jézabel, veut s’emparer de la vigne de Naboth, ainsi que le rappelle cet ancien texte prophétique :

« Donne-moi ta vigne pour de l’argent ; ou, si tu veux, je te donnerai une autre vigne à la place. Mais il a dit : je ne te donnerai pas ma vigne. Alors Jézabel, sa femme, lui dit : Est-ce bien toi qui exerces la royauté sur Israël ? … «

               I Rois 21,6-7

Et elle fait accuser Naboth d’avoir maudit Dieu et le roi ! Moyennant quoi  Naboth (selon de faux témoignages) doit être lapidé ! Ce qui advient, en effet, et le roi peut s’emparer de la vigne !  A cette époque : qui donc pourrait s’opposer au roi ?

«  Alors la parole du Seigneur parvint à Elie, le Tishbite : Descends à la rencontre d’Achab, le roi d’Israël qui est à Samarie ; il est dans la vigne de Naboth, il y est decendu pour en prendre possession. Tu lui diras : Ainsi parle Seigneur : tu as assassiné et tu prends possession ! Tu lui diras : Ainsi parle le Seigneur : Au lieu même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang « 

               I Rois 21,18_19 

Nous voici  renvoyés à cette question fondamentale : d’où vient cette loi ? Pour les prophètes, cette loi vient de Dieu. 

•  Une loi inscrite dans les cœurs

Ainsi, une même loi définit l’espace de la liberté de tous. Inversement, la loi de la jungle ne connaît qu’une seule autorité : celle de la force. Comme souvent, dans notre monde : Le plus fort a raison ! Mais le prophète rappelle l’essentiel :  

Les jours viennent –déclaration du Seigneur- où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle… Je mettrai la loi dans leur cœur ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple…

               Jérémie 31, 31-33 

On cite souvent ce texte de Jérémie 31 : le prophète invoque cette loi non écrite opposée à la loi écrite des scribes légistes. Une telle loi ne peut être écrite. D’âge en âge, la rappeler est l’œuvre des prophètes.

Une obéissance formelle à la lettre peut être une tromperie « légale » ! La lettre tue, parfois, mais l’esprit vivifie… toujours. Il importe donc de connaître la source de l’autorité de référence…

Rappelons qu’il n’existe pas de « vie spirituelle » qui n’ait une dimension religieuse. Aujourd’hui comme hier. Et c’est alors, qu’en termes nouveaux, se poserait la question de l’autorité…

Rappelons qu’il est deux sortes d’autorités : Une autorité de commandement et une autorité de rayonnement. La parole du roi exprime une autorité de commandement. La parole du prophète est de l’ordre du rayonnement…

Il peut arriver qu’une même personne incarne ces deux aspects de l’autorité, mais cela n’est pas toujours le cas. Fonction charismatique…

 

Jacques Chopineau 

  

                                                                    
 La Bible est citée selon la traduction de la Nouvelle Bible Segond (NBS).