Certes le rêve n’existerait pas sans la lumière primitive qui a mis le feu aux désirs, comme le soleil est censé avoir mis le feu au Buisson Ardent dans l’Exode, mais ce feu en est distinct et représente le foyer de libido qui habite le sujet. Quant aux ombres des objets dont parle Platon, elles correspondent à ce que Freud appelle les restes diurnes, issus de nos rencontres du jour avec les êtres présents aujourd’hui. Ce sont ces restes qui provoquent nos fantasmes et nos rêves : ces ombres sollicitent nos désirs inconscients et nous conduisent à nous les représenter à travers les scénarios que nous connaissons bien.Car la lumière primitive ne saurait suffire : réduite à elle-même, elle alimente nos hallucinations, elle crée l’univers des rêves. Il faut aussi que s’allume le feu qui va alimenter les rêves et les désirs qui sont toujours par définition uniques et propres à chacun. Certes le rêve n’existerait pas sans la lumière primitive qui a mis le feu aux désirs, comme le soleil est censé avoir mis le feu au Buisson Ardent dans l’Exode, mais ce feu en est distinct et représente le foyer de libido qui habite le sujet. Quant aux ombres des objets dont parle Platon, elles correspondent à ce que Freud appelle les restes diurnes, issus de nos rencontres du jour avec les êtres présents aujourd’hui. Ce sont ces restes qui provoquent nos fantasmes et nos rêves : ces ombres sollicitent nos désirs inconscients et nous conduisent à nous les représenter à travers les scénarios que nous connaissons bien.
Les deux foyers lumineux qui illuminent la vie psychique
La lumière dont parle Platon existe donc bel et bien dans l’esprit de chacun, de même que le feu libidinal, et ils concourent à engendrer nos rêves, nos fantasmes et beaucoup de nos réactions inconscientes. Mais il est capital de préciser que ce sont des réalités psychiques, qui appartiennent à un univers totalement différent du monde dans lequel nous évoluons. C’est un donné de base, indispensable et fondateur, qui fait partie intégrante de l’appareil animique au sens où l’entend Freud. A l’inverse, et paradoxalement, les reflets et les ombres sont engendrés par des réalités actuelles. Ils sont agités par des hommes d’aujourd’hui à la façon des simulacres dont fait état Platon, et ce sont eux qui fournissent au rêve ses matériaux de base : ils proviennent de personnes vivantes ou de réalités actuelles, car le rêve et le fantasme s’élaborent en écho au vécu des jours. La lumière d’origine et le feu sont indispensables pour les faire miroiter, mais quel serait l’intérêt de cette projection si elle n’offrait pas la possibilité au rêveur de fantasmer à partir de ces ombres, d’exprimer ses désirs et de les situer dans le contexte psychique qui lui est propre ? Le rêve n’est pas là pour isoler du monde, sauf si on se laisse prendre à la nostalgie d’un passé soi-disant merveilleux ; il offre à chacun l’occasion d’investir jour après jour les désirs qui l’habitent en profitant de toutes les occasions que la vie lui propose et dont les ombres lui reviennent une fois la nuit venue[5].
De ce point de vue, les prisonniers que nous ne sommes ne sont pas totalement isolés de la réalité comme le suggère Platon, et même encore Freud qui considère le rêve sous son aspect autoérotique. Il est indispensable de sortir de ce cadre de pensée si l’on veut faire la part des choses. Les rêves sont provoqués et nourris par des restes diurnes issus de rencontres, d’échanges humains, qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui, et grâce auxquels ils prennent sens ; les lumières intérieures qui font miroiter ces ombres ont elles aussi une origine relationnelle, mais elles sont là pour faire resurgir les plaisirs ressentis dans d’anciennes relations et les réinvestir dans celles d’aujourd’hui. Certes, nous sommes les prisonniers de nos désirs cachés, mais des prisonniers qui profitent des relations vivantes et libres vécues par le passé pour nourrir celles d’aujourd’hui et pour faire de ce temps un moment de partage.
Pour y parvenir, deux conditions s’imposent donc, et elles sont absolument primordiales : la première, c’est qu’on respecte la différence entre les deux mondes dont parle Platon. Il y a d’un côté le monde fictif du feu et de la lumière, qui correspond à notre propre façon de voir, nous appartient en propre, éclaire nos productions internes, et qui n’est pas fait pour être vu mais pour donner à voir ; et il y a d’un autre côté le monde des simulacres et des ombres, produit par les réalités du moment, qui est fait pour être vu, de façon à revivifier des expériences passées et à les réinvestir dans l’existence actuelle. L’autre condition, c’est qu’on ait intégré aussi la différence entre ces acquis du passé, dont nous sommes habités, animés, nourris, au plan individuel comme au plan collectif, et les expériences actuelles qui ne prennent sens et consistance que sous l’effet des premières, sans lesquelles elles n’auraient pas la possibilité d’exister.
Quoiqu’il en soit, rien de tout cela n’existerait dans notre esprit sans la lumière intérieure qui s’est allumée en nous aux premiers jours de notre vie et que Platon nous invite à retrouver un jour. Les aveugles eux-mêmes y participent, car il s’agit d’une création interne effectuée dans un contexte de chaleur et de tendresse dont la lumière réelle est l’une des expressions privilégiées.
[1] Pinol-Douriez M., Bébé agi, bébé actif, Paris : PUF, 1964.
[2] Meltzer D., L’appréhension de la beauté, Ed. du Hublot, 56260 Larmor Plage, 2OOO.
[3] Platon, Œuvres Complètes, Gallimard, Pleiade, t. 1, p. 11O1. On trouvera un commentaire très suggestif de ce texte dans Max Milner, L’envers du visible, essai sur l’ombre, Paris : Seuil, 2005.
[4] Sur le symbolisme du feu dans la psychanalyse, je renvoie à mon ouvrage : Symptôme et conversion, PUF, 2004, p. 51.
[5] Pour l’analyse de ces rêves, cf G. Bonnet, L’autoanalyse, Que sais-je N° 3759, PUF, 2006.