LA COMMUNAUTÉ, LIEU DU PARDON ET DE LA FÊTE
Jean Vanier est fondateur du mouvement communautaire de l’Arche.
C’est dans une maison de la région parisienne où quelques personnes se sont réunies pour venir en aide à d’autres gravement handicapées que le mouvement a vu le jour. Rendre possible la rencontre, l’organisation du quotidien, assurer le développement de personnes handicapées et de volontaires venus les rejoindre, suppose une attention constante aux exigences de la complexité humaine. La qualité de la relation avec l’autre est aussi la relation avec la foi qui nous porte. C’est dans la ligne de cette conviction qu’ont été rassemblés ici quelques extraits du livre de Jean Vanier : La communauté, lieu du pardon et de la fête.
Les réflexions choisies mettent l’accent sur l’engagement des personnes qui composent une communauté, engagement vis-à-vis des proches et conviction et la découverte de soi qui y est liée. D’autres dimensions, organisation, subsistance, autorité sont aussi abordées dans cet ouvrage. Elles n’ont pas été privilégiées ici.
La vie communautaire est rude ; elle est aussi une merveilleuse aventure et peut devenir source de vie. Je souhaite que beaucoup puissent vivre cette aventure qui est finalement celle de la libération intérieure. La liberté d’aimer et d’être aimé. Cf. Jean 5 . V. 9-12-13. (p. 19)
Mon peuple, c’est ma communauté, la petite communauté de ceux qui vivent ensemble mais aussi la communauté plus grande qui est autour et pour laquelle on est là. Ce sont ceux qui sont inscris dans ma chair comme je suis inscrit dans la leur. Que nous soyons loins ou proches, mon frère, ma sœur restent inscrits à l’intérieur de moi. Je les porte et ils me portent, et quand on se retrouve, on se reconnaît . […] « Mon peuple » est ma communauté, constitutive par ceux qui me connaissent et qui me portent. Il peut et doit être un tremplin vers l’humanité toute entière. Je ne peux pas être un frère universel si je n’aime pas d’abord « mon peuple ». (p. 25)
Plus on chemine personnellement vers la guérison et l’unité intérieure, plus ce sentiment d’appartenance grandit et s’approfondit. Et pas seulement l’appartenance aux autres et à une communauté mais à l’univers, à la terre, à l’air, à l’eau, à tous les vivants, à toute l’humanité. Si la communauté donne à la personne un sentiment d’appartenance, elle l’aide aussi à assumer sa solitude dans une rencontre personnelle avec Dieu. Par là encore, la communauté est ouverte à l’univers et à tous les hommes. (p. 25)
Les communautés sont vraiment des communautés lorsqu’elles sont ouvertes aux autres, lorsqu’elles demeurent vulnérables et humbles, lorsque leurs membres grandissent dans l’amour, la compassion et l’humilité. Elles cessent de l’être lorsque leurs membres se referment sur eux-mêmes, sûrs d’être les seuls à posséder la sagesse et la vérité et que par conséquent les autres doivent faire comme eux et se mettre à leur école. (p. 27)
Nous pourrions dire que la communauté est définie par ces trois éléments : Aimer chacun, Etre liés ensemble, Vivre la mission. (p .28)
Une communauté commence vraiment quand on ne se cache plus les uns aux autres ; quand on ne cherche plus à prouver sa valeur, réelle ou prétendue ? Les barrières sont tombées, et on peut vivre ensemble une expérience de communion. (p. 32)
Un des rôles de la vie communautaire est justement de nous aider à continuer la route de l’espérance, à nous accepter tels que nous sommes et à accepter les autres tels qu’ils sont. […] l’espérance communautaire est fondée sur l’acceptation et l’amour de la réalité de notre être et de celle des autres, et sur la patience et la confiance nécessaires à la croissance. (p. 47)
Vivre en communauté, c’est découvrir et aimer le secret de sa propre personne dans ce qu’elle a d’unique. C’est ainsi qu’on devient libre. On ne vit plus alors selon les désirs des autres ou selon un personnage mais à partir de l’appel profond de sa personne, et on devient libre, libre d’aimer les autres tels qu’ils sont et non tels que l’on voudrait qu’ils soient. (p. 49)
Une communauté n’est pas seulement un groupe de personnes qui vivent ensemble et qui s’aiment. C’est un lieu de résurrection, un courant de vie : un cœur, une âme, un esprit. Ce sont des personnes très différentes les unes des autres qui s’aiment, qui sont toutes tendues vers la même espérance et qui célèbrent le même amour. De là vient cette atmosphère particulière de joie et d’accueil qui caractérise la vraie communauté. […] Cette atmosphère de joie vient du fait que chacun se sent libre d’être lui-même dans ce qu’il a de plus profond. Il n’a pas besoin de jouer un personnage, de prétendre être mieux que les autres, d’essayer de faire des promesses pour être aimé. Il n’a pas besoin de cacher toute une part de lui-même derrière des barrières et un masque. Il est devenu vulnérable aux autres parce qu’il est devenu vulnérable à Dieu. Il a découvert qu’il est aimé pour lui-même et non pour ses capacités intellectuelles, ou manuelles. Quand quelqu’un commence à découvrir et à faire tomber les barrières et les peurs qui l’empêchent d’être lui-même, et qui empêchent la vie de l’Esprit saint de s’écouler à travers lui, il se simplifie. Être simple, c’est précisément être soi-même, en sachant que les autres nous aiment tels que nous sommes. C’est se savoir accepté avec ses qualités, ses défauts, dans sa personne profonde. Être simple, c’est laisser l’amour de Dieu et sa lumière briller à travers nous, selon notre vocation et nos dons. (p. 64)
Une communauté devient vraiment une et rayonnante quand tous ses membres ont un sentiment d’urgence de leur mission. (p. 92)
Plus une communauté est authentique et créative dans sa recherche de l’essentiel et la réalisation de ses buts, plus ses membres, appelés à se dépasser, tendent à s’unir. A l’inverse, plus une communauté devient tiède par rapport à son but initial, plus l’unité entre ses membres risque de s’effriter ; et des tensions apparaîtront. […] Il y a un lien intime entre les deux pôles de la communauté : son but et l’unité entre ses membres. (p. 93)
Peut-être est il aussi impossible de répondre au cri des autres si on n’a pas reconnu et assuré le cri de sa propre blessure. (p. 97)
Le pauvre semble briser les barrières de la puissance. Il fait découvrir à celui qui est venu pour l’aider sa propre pauvreté et sa propre vulnérabilité. Il lui fait découvrir aussi sa capacité d’aimer, les puissances aimantes de son cœur. Le pauvre a un pouvoir mystérieux : dans sa faiblesse, il devient capable de toucher les cœurs endurcis et de leur révéler les sources d’eau vive cachées en eux. (p. 98)
L’amour n’est pas quelque chose de sentimental. C’est quelque chose de beaucoup plus profond. C’est une puissance qui communique à l’autre, une plus grande liberté intérieure et qui le fait grandir. L’amour ne s’oppose pas à la compétence. L’amour est appelé toujours à être compétent. (p. 100)
Chaque personne qui dans la cité grandit en amour et en sagesse fait grandir toute la communauté ; chaque personne qui refuse personnellement de grandir, qui a peur d’avancer, empêche la communauté de grandir. Chacun des membres de la communauté est responsable de sa propre croissance et de la croissance de la communauté toute entière.
Grandir humainement, c’est unifier notre capacité d’action et notre cœur. Trop souvent, l’action jaillit de la peur : peur des relations, de notre vulnérabilité ou même de l’amour : peur de la dépendance, de la sexualité et même de notre être profond et caché. L’action est trop souvent une fuite ou un désir de prouver quelque chose. Quand nous sommes en paix, quand nous avons assuré nos blessures les plus profondes et notre faiblesse, quand nous sommes en contact avec notre cœur profond et notre capacité de tendresse, alors l’action jaillit de notre centre, et devient source de croissance. (p. 132)
Le grand secret de la vie, c’est apprendre à transformer le deuil en offrande. (p. 139)
Plus on devient des hommes et des femmes d’action et de responsabilité dans une communauté, plus il faut devenir des hommes et des femmes de contemplation. Si on ne nourrit pas sa vie affective profonde de la prière cachée en Dieu, si on ne passe pas du temps dans le silence, et si on ne sait pas prendre du temps avec ses frères et soeurs pour vivre de leur présence et de leur tendresse, on risque de devenir amer et aigri. C’est uniquement dans la mesure où on nourrit son cœur profond qu’on peut garder cette liberté intérieure. (p. 140)
Il est toujours bon pour l’être humain, pour les communautés ou pour les nations, de se rappeler que la réalité présente est issue des mille gestes d’amour ou de haine qui l’ont précédée. Ceci oblige à se rappeler que la communauté de demain est en train de naître à travers notre fidélité au présent. Nous sommes tous des petits chaînons dans l’immense chaîne de générations qui constitue l’humanité. Nous sommes des êtres qui ne vivront que peu de temps, comparativement à l’histoire de l’humanité, au passé et à l’avenir. Cela nous aide à voir dans leur véritable perspective notre communauté par rapport à d’autres, par rapport à l’histoire et la place de choix dans la communauté. Nous découvrons alors que nous sommes à la fois peu de chose et très emportés parce que chacun de nos gestes est en train de préparer l’humanité de demain : c’est une toute petite pierre dans la construction d’une cité plus juste et plus heureuse, pour toute la famille humaine. (p.153).
Il y a une croissance extérieure, qui est plus ou moins une expansion ; il y a aussi des croissances intérieures, secrètes ; un enracinement plus profond dans la prière, en Jésus, plus d’amour et de pardon entre frères et sœurs, plus de compassion et d’accueil. Ces croissances ne sont pas visibles, mais elles créent une atmosphère tangible : une joie plus lumineuse, un silence plus profond, une paix qui touche les cœurs et conduit à une véritable expérience de Dieu. (p. 156)
Tant qu’on est dans la communauté pour « faire » des choses, on ne peut pas être nourri par le quotidien. On ne cesse de se projeter en avant, car il y a toujours des choses urgentes à faire. Si on vit dans un quartier pauvre avec des gens en détresse, on est constamment interpellé. Le quotidien ne nous nourrit que quand on a découvert la sagesse de l’instant présent et la présence de Dieu dans les petites choses, quand on a refusé de lutter contre la réalité et qu’on a capitulé devant elle en découvrant le message et le don du moment. Alors, on voit la beauté qui les entoure et on peut s’en émerveiller. (p. 170)
[…] La parole doit jaillir du silence et de la paix et conduire vers le silence et la paix. Elle fait renaître l’appel. Elle rend présents au cœur et à l’esprit la finalité et l’essentiel de la communauté. (p. 174)
C’est facile d’être généreux pendant quelques mois ou quelques années. Mais pour être continuellement présent à d’autres et pas seulement présent mais être nourriture pour eux, pour tenir le coup dans une fidélité renouvelée chaque matin, il faut une discipline du corps et de l’esprit. Il faut une discipline par rapport à la nourriture spirituelle, à la prière et au rajeunissement de l’intelligence. (p. 180)
Il y a le danger à notre époque, d’être saturés d’information, et n’enregistrer que des choses très superficielles. Il est toujours bon de pénétrer avec notre intelligence dans un petit domaine de ce vaste monde de la connaissance qui est le reflet des choses visibles et invisibles. Si on creuse avec son intelligence un domaine restreint, que ce soit la croissance de la pomme de terre ou l’approfondissement d’un mot de l’Ecriture, dans chacune de ces réalités, on touche le mystère. Si on explore une chose à fond avec notre intelligence, on entre dans le monde de l’émerveillement et de la contemplation. L’intelligence qui touche la lumière de Dieu cachée au cœur des choses et des être renouvelle toute la personne. (p. 181)
La solitude n’est pas uniquement « pour moi » et la communauté « pour les autres ». La solitude est essentielle à la vie communautaire parce que c’est dans les moments de solitude que nous pouvons devenir plus proches les uns des autres. Dans la solitude nous nous découvrons l’un l’autre d’une façon toute nouvelle et difficilement atteignable sinon impossible avec la présence physique. Nous reconnaissons alors entre nous des liens qui ne dépendent pas de paroles, de gestes ou d’actions, et qui sont plus profonds et plus forts que ceux qu’on pourrait créer par nos propres efforts.
« Solitude et communauté s’appartiennent l’une l’autre ; elles ont besoin l’une de l’autre tels le centre et la circonférence d’un même cercle ; La solitude sans la communauté conduit à un sentiment d’isolement et de désespoir, la communauté sans solitude nous mène à « un vide » de paroles et d’émotion. … » (Solitude and Communauty, Worship. Janvier 1978) (p. 192)
A plusieurs, les possibilités sont beaucoup plus grandes. (p. 270)
Ed. Mame Bellarmin – 2012
Extraits choisis par C. Luuyt
Jean Vanier