La divine lumière
Interprétations musulmanes
Mohammed Jamouchi
Bulletin n°8 – Lumière
Ce verset a une portée universelle qui suscite des réflexions aussi diverses que multiples dans l’esprit de ceux qui le méditent, indépendamment de leur orientation doctrinale ou de leur niveau conceptuel. Le thème de la lumière est très récurrent dans le Coran. On ne distingue pas moins de quarante-sept occurrences de ce signe (verset) faisant appel à cette lumineuse métaphore et en conséquence à tout l’imaginaire qui peut s’y référer et qui de fait lui a été attribué. Le chapitre 24 du Coran, intitulé Lumière lui est entièrement consacré. Parmi ces signes qui sont Ses signes, il y a le célèbre verset de la Lumière.
• Le verset de la Lumière divine
» Allah est la Lumière des cieux et de la Terre. Sa Lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni occidental ni oriental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière [de la foi] qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient. «
Ce verset qui fait appel à trois objets – une lampe, un (récipient de) cristal, et une niche – est une métaphore d’une extrême beauté et d’une magnifique splendeur. Il annonce que la Lumière Divine (nûr qui est opposée aux ténèbres et possède une signification plus large, plus pénétrante et plus durable que les autres synonymes arabes) se confine dans ces trois objets, dont la combinaison fait sa clarté et son effusion. La lampe est la source même de la lumière ; comme celle-ci est protégée (contre les courants d’air qui pourraient l’éteindre) par un verre de cristal [zujâja] qui embellit et amplifie sa brillance et la niche [mishkât] (encastrée dans un mur dans lequel une lampe par réflexion diffuse davantage encore de luminosité) conserve la lumière.
Il serait vain de chercher à épuiser la signification intensément évocatrice de ce verset qui a été à l’origine d’éloquentes interprétations, plus ou moins réussies et couronnées de succès, qui ont connu des fortunes diverses . Cependant, ce verset de la « Lumière Divine » ne saurait être extrait de son contexte. Il ne saurait être question de l’interpréter en dehors du système cohérent d’images et de concepts employés dans l’ensemble du Coran.
• Herméneutiques coraniques
L’une des exégèses plausibles de ce verset est que les trois éléments constituants de la parabole symbolisent respectivement la Lumière Divine (la lampe), les prophètes de Dieu (le verre de cristal) qui protègent la lumière contre l’étouffement tout en contribuant à sa clarté et à son effusion, et les successeurs [khulafâ’] des prophètes (la niche), qui diffusent et propagent la Lumière Divine en lui imprimant une direction et un but en guise de guidance et d’illumination du monde entier. L’huile qui illumine la lampe est d’une grande pureté et de surcroît possède un degré d’inflammabilité tel qu’elle s’enflamme même sans qu’elle soit allumée. Que cette huile soit extraite d’un arbre qui n’appartient ni à l’occident ni à 1’orient n’autorise quiconque à se mettre en avant, pas plus que l’on ne permettrait qu’une quelconque discrimination se profile en faveur d’un peuple ou l’autre.
Une deuxième interprétation considère que la lumière dans ce verset peut référer au Messager parce que le Coran parle de lui comme lumière . En l’occurrence, la niche signifie le coeur de l’Envoyé ; la lampe, sa nature intacte, pure et immaculée, investie des attributs et des qualités les meilleurs et les plus nobles ; et le cristal signifierait que la Lumière Divine avec laquelle sa nature a été investie est claire et limpide comme le cristal. Quand la lumière de la révélation divine est descendue sur la lumière de la nature du Prophète, elle brilla avec l’effusion double que le Coran décrit avec cette expression d’insistance : Lumière sur Lumière. Cette lumière de l’Envoyé est entretenue par une huile produite par un arbre béni , ce qui, en conséquence, signifie que la lumière de l’Envoyé n’est pas seulement claire et brillante mais tout aussi abondante [mubârakah], immuable et perpétuelle, et qu’elle est destinée à illuminer et l’Orient et l’Occident. En outre, le coeur du Messager était si pur et sa nature si rompue aux nobles qualités qu’il lui était pour ainsi dire possible de s’acquitter des responsabilités de sa grande mission avant même que la Lumière Divine l’ait touché. Ce serait la signification de cette phrase : l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche.
Une troisième explication associe la niche au corps humain. Il contient l’esprit qui se manifeste par l’intermédiaire de ses organes. Comme la niche le corps humain protège la lumière, qui est l’esprit, et guide son expression. Autrement dit, le corps humain contient la lampe [misbâh] de l’âme qui illumine l’esprit humain et le met en relation avec Dieu. Cette lampe se trouve dans le cristal [zujâjah] formé par le corps humain qui la protège du mal et de la blessure en amplifiant et en reflétant sa clarté. Ce cristal est le cerveau humain dont le dispositif est si parfait que certains philosophes ont été amenés à croire qu’il est l’ultime source de la Lumière divine. Cette lumière est entretenue par l’huile d’un arbre béni, c’est-à-dire par les vérités primaires et éternelles qui ne sont pas la possession exclusive de l’un ou l’autre peuple de l’Occident ou de l’Orient. Ces vérités éternelles sont enracinées et cultivées dans la nature humaine au point qu’elles se manifesteraient quasiment spontanément, même sans l’aide de la révélation divine.
Cette lumière, d’essence immatérielle, n’est autre que la vérité divine, dont le rayonnement est d’une intensité incomparable : c’est la science certaine, la direction infaillible dont les prophètes reçoivent le dépôt par le moyen de la révélation. Seuls, il est vrai, certains esprits prédestinés sont aptes à recueillir ce rayonnement dont le caractère occulte, mystérieux et inaccessible est symbolisé par la niche, la lampe et le cristal. Mais ce rayonnement devient patent, manifeste, évident à ceux qui sont touchés par la Grâce Divine, qui n’est autre que cette lumière même. Ce n’est qu’en se vouant à Dieu, en l’adorant avec ferveur, en faisant oeuvre de piété, de vertu qu’on accroît ses chances de capter ce pur rayonnement divin qui est vérité: de là le symbole du temple, de la mosquée, où viennent régulièrement prier ceux qui se vouent résolument à Dieu . Parmi les esprits prédestinés à s’imprégner du rayonnement divin, il y a surtout les mystiques qui interpréteront avec le plus de finesses les mystères spirituels du Coran. L’un des plus éminents parmi eux est al-Ghazâli (1058-1111) qui compare, dans son Tabernacle , le verset de la Lumière (Coran 24, 35), le verset des Ténèbres (Coran 24, 40) et l’enseignement prophétique suivant : Dieu a soixante-dix mille voiles de Lumière et de Ténèbres : s’Il enlevait ses voiles, la splendeur de Son Aspect (Son Visage, Sa Face, wajh) consumerait certainement quiconque oserait Le regarder.
Dans ce livre, le théologien fait l’exégèse du verset la Lumière, sa sublime argumentation est la suivante :
Quand on considère la lumière physique, elle n’est que phénomène passager, dépendant de la perception. Mais la perception physique est défectueuse, ce n’est que l’Intelligence qui dans sa perfection nominale est capable de recevoir la lumière à titre d’illumination complète. Les versets du Coran relatifs à l’Illumination comparent la lumière au rayonnement du soleil et sa perception à l’activité de l’œil :
0 gens ! Certes une preuve évidente vous est venue de la part de votre Seigneur. Et Nous avons fait descendre vers vous une lumière éclatante.
Comme l’oeil physique perçoit grâce au soleil, l’oeil spirituel perçoit grâce à la Révélation (le Coran). Il existe un monde invisible, possédant sa lumière spécifique, tout à fait différente du monde visible, qui possède, lui aussi, sa lumière propre. Le monde spirituel est loin au-dessus du monde physique, non en distance, car ce n’est pas d’étendue dont il est question, mais de degré. Mais le monde sensuel est une expression du monde réel. Tous les prophètes sont des Lampes, et les savants aussi, mais entre les deux se pose une différence incalculable. Si l’Envoyé est une Lampe illuminante, celle-ci peut être considérée comme étant symboliquement allumée par le Feu . Ces Lampes célestes ont leurs propres grades et degrés, la plus élevée est la plus proche de la Lumière absolue. Cette lumière absolue est la source primaire, qui est Lumière entièrement « en soi » [in se] et « pour soi » [per se], ce n’est pas une lumière provenant d’autres lumières. Le terme ‘lumière’ appliqué à toute autre lumière que cette lumière primaire est purement métaphorique. Mais ces métaphores ont des grades et des degrés, tout autant que leurs contraires.
Il n’existe de ténèbres aussi noires que ceux du Non-être. Une chose en noir est appelée ‘noire’ parce qu’elle ne peut apparaître à la vue ; elle ne se rend jamais visible même si elle existe vraiment. Mais la chose qui n’est pas visible n’existe pas, ni pour les autres ni pour elle-même, elle est indubitablement l’obscurité absolue.
Le contraire du non-être c’est l’Etre, qui, pour cela, est Lumière. Ainsi Dieu le Plus-Haut est la seule Réalité, comme Il est la seule Lumière.
Dans le monde physique, la lumière est visible elle-même, aussi rend-elle les objets également visibles. Elle est l’hypostase de toutes les couleurs. Par son union intense avec les couleurs, elle peut apparaître (par réfraction) entièrement comme couleur et nullement comme lumière. Son intensité extrême peut la rendre complètement invisible. Ainsi, Dieu apparaît dans toutes les choses, mais certains ne Le perçoivent pas à cause de Son éblouissement. Du monde-matériel, qui est le monde sensuel, on accède par le monde de l’Intelligence au monde Spirituel, qui est le monde du Royaume céleste, où se trouvent les Anges, dont les substances émettent différentes lumières vers les esprits mortels.