L’autre lumière

• Deux mots d’introduction 

Ce que nous nommons communément « lumière » est une lumière extérieure : celle qui frappe notre regard, venant de l’objet lumineux vers nos yeux. Si un objet ne réfléchit pas cette lumière : nous ne le voyons pas. Cette lumière est d’abord une lumière réfléchie par les surfaces.

Mais il est une autre lumière : Une lumière que l’on peut appeler « lumière intérieure », laquelle n’est pas réfléchie par une surface extérieure, mais procède de l’intérieur. En sorte que l’expression du texte de la Genèse (3,5) « vos yeux s’ouvriront » dit que désormais l’homme verra la lumière réfléchie par les surfaces. C’est bien ainsi qu’il connaîtra. Et les fruits de la science seront de plus en plus nombreux (et désirables, cf Genèse 3,6) au fil des saisons. De fait, à chaque âge de l’histoire humaine, ces fruits de la science seront toujours plus nombreux. Cette récolte ne prendra jamais fin.

Mais c’est d’une autre lumière qu’il est question dans les lignes présentes. Plusieurs textes bibliques se réfèrent à cette lumière intérieure et bien des commentaires anciens (juifs et chrétiens) la connaissent.

Curieusement, bien des commentaires modernes semblent ignorer cette distinction et semblent croire qu’il n’est qu’une sorte de lumière : celle que nous voyons. Certes, symboliquement, il est aussi une lumière dite « intérieure », mais cela est senti comme une métaphore, voire un sujet de discussion…

Pourtant, plusieurs textes bibliques font état d’une autre lumière qui procède de l’intérieur vers l’extérieur. En ce sens, la lumière désigne la portée du regard. Non pas simplement les capacités de l’œil, lesquelles sont bornées par l’éclairement des objets visibles, mais une vision qui donne de « voir plus loin » que les apparences. C’est ainsi qu’une ancienne légende conte que le premier Adam -grâce à la lumière du jour UN pouvait voir d’un bout du monde jusqu’à l’autre extrémité.

La langue biblique possède d’ailleurs deux verbes différents pour « voir » (r’h) et « voir en vision » (Hzh). Ainsi le prophète Esaïe « voit » (Hzh) ce qui arrivera, dans la suite des temps… et ce n’est certes pas avec un regard ordinaire…

Tout autre est ce regard par lequel les prophètes « voient » en vision :

« La chose que vit (Hzh) Esaïe fils d’Amots au sujet de Juda et de Jérusalem : Il arrivera à la fin des jours… » ( Esaïe 2,1)

La prophétie (et aussi l’apocalyptique, quoique de manière un peu différente) suppose une qualité de regard qui n’est pas liée à une vision oculaire.

  • La lumière du jour UN

Les premiers chapitres du livre de la Genèse sont des textes de sagesse et non une sorte de préhistoire naïve de l’humanité. D’origines diverses, ils ont été placés en tête de ce grand récit qu’est la Bible. 

Ce sont aussi des paroles oubliées, voilées par des siècles d’interprétations et canalisées par des voies dogmatiques ou, à l’inverse, par des approches superficielles. Tentons de revenir à la source… 

Selon le récit du livre de la Genèse, le soleil est créé le quatrième jour (Genèse 1,16) . Pourtant, la lumière est créée tout au début du récit :

Que la lumière soit… ( Genèse 1,3)

Quelle est donc cette lumière ? Ce texte étonnant et profond a suscité bien des commentaires savants et souvent superficiels. Le texte est alors pris au pied de la lettre –ce qui laisse de côté le sens profond de ce texte : un des plus difficiles, il est vrai, de tous les écrits bibliques.

Restons-en au seul récit de la création. Texte « tardif » dans sa forme actuelle, mais cependant placé en ouverture de tous les écrits bibliques. Ce fait devrait appeler notre attention : les particularités –parfois étonnantes- de ces textes des premiers chapitres du livre de la Genèse ne sont pas fortuites. Les fondamentaliste qui –aujourd’hui- prennent au pied de la lettre de tels textes font preuve d’une grande ignorance de leur signification véritable….

La lumière visible par tous est une lumière réfléchie par les objets. Une lumière qui –en quelque sorte- vient vers l’œil et fait que l’œil perçoit. Mais la lumière intérieure est d’une autre sorte : elle va de l’intérieur vers l’objet et l’illumine. C’est la lumière qui éclaire tout homme, même aveugle…

La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain… (  Evangile selon Jean 1,9)

Cette lumière véritable n’est pas cachée à l’aveugle de naissance, lequel pourtant ne voit pas la lumière du soleil.  Dans notre monde pourtant, c’est l’obscurité qui règne :

Ton œil est la lampe du corps. Lorsque ton œil est bon, tout ton corps aussi est illuminé : mais s’il est mauvais, ton corps aussi est dans les ténèbres. Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit ténèbres.  (Evangile selon Luc 11,34-35 )

  • L’ouverture du regard

Notre monde est celui de la lumière visible. Ainsi, la parole du serpent : Vos yeux s’ouvriront… (Genèse  3,5) exprime une réalité courante :  vous verrez par cette lumière extérieure que les surfaces réfléchissent. Mais cette parole est parfois prise à contre-sens. Comme si ce premier couple ne voyait pas et, donc, ne savait pas qu’il était nu. Une telle lecture serait absurde…

Le grand commentateur Rachi faisait observer que même des aveugles savent qu’ils sont nus. D’autre part, il remarque qu’il est écrit : « ils surent » qu’ils étaient nus et non pas : « ils virent » qu’ils étaient nus. C’est de connaissance qu’il s’agit, non de vision oculaire…  Ainsi, « ils surent » parce qu’ils avaient changé de registre et qu’ils étaient devenus comme des humains ordinaires qui ne croient que ce qu’ils voient (c’est d’ailleurs aussi le regard de la science, pour le meilleur comme pour le pire).

Cette lumière du jour UN, selon le texte de la Genèse, est aussi la lumière du dernier jour –du jour UN- selon le prophète Zacharie (cf Zacharie 14,7-9).  

La lumière intérieure est, certes, connue des anciens textes religieux, mais curieusement mise de côté par la plupart des penseurs de notre temps. Celui qui ne croit que ce qu’il voit, ne croit pas ce qu’il ne voit pas. Son réel est alors borné par une vision oculaire. 

Par extension, on dit aussi : Je veux bien croire… ce que je conçois (intellectuellement). Le réel est alors borné à l’imaginable, au concevable… Dans les deux cas, nous sommes loin de cette lumière du jour UN : de cette lumière intérieure que désignent les Ecritures.

Jacques Chopineau