Les sols qui nous nourrissent. Les soins que nous devons apporter aux sols.

Claude et Lydia Bourguignon

Bulletin n°15 – Terre

L’humanité, au cours de son développement est passée par plusieurs évolutions technologiques, la première fut certainement la maîtrise du feu par les hommes du Paléolithique et la deuxième l’invention de l’agriculture au Néolithique, il y a de cela environ  10 000 ans. Depuis des millénaires, l’homme cultive la terre et gratte le sol pour y faire pousser sa nourriture quotidienne. Il serait donc logique de penser ou de croire que l’humanité maîtrise la culture des sols ; pourtant le sol reste un milieu mal connu et l’agriculture une activité pleine d’idées reçues. Cela est, en partie, dû à la naissance tardive de la science du sol (pédologie), qui ne date que de la fin du 19ème siècle, il n’y a donc pas longtemps que l’on étudie le sol scientifiquement. Il faut dire aussi que le sol est le milieu le plus complexe de notre planète et qu’il abrite 80% de la biomasse terrestre et au moins 25% de sa biodiversité, nous disons « au moins » car nous ne connaissons que 10% des espèces qui vivent dans les sols. Biologiquement, on peut considérer le sol comme le milieu le plus riche de la planète, on y dénombre plus d’un milliard de bactéries par gramme de terre et une à quatre tonnes de vers de terre par hectare.

Cette méconnaissance du sol revient à dire que cultiver consiste à gérer, à valoriser un milieu que nous ne connaissons pas. Cela explique pourquoi il y a tant de chapelles en agriculture. Pour cultiver avec délicatesse et prendre soin de nos sols, il faut donc connaître puis comprendre ce milieu complexe et vivant.

La vie s’épanouit dans 3 milieux : l’atmosphère, l’eau et le sol. Les deux premiers sont purement minéraux et constitués de molécules (gaz ou H2O) dont les attaches sont atomiques donc très solides. L’homme ne se prive pas de polluer l’atmosphère et l’eau mais il ne peut pas faire disparaître ces milieux.

Il en est tout autrement du sol qui est un milieu organominéral car les liens qui attachent la matière organique, l’humus, et la matière minéral, l’argile, sont des attaches électriques qui sont fragiles. On comprend alors notre responsabilité dans la destruction des sols. Ceux-ci sont fragiles et demandent donc beaucoup de soin dans leur gestion.

Puisque le sol est formé d’un complexe argile-humus, tout agriculteur ou jardinier doit connaître les argiles qu’il a dans son sol et l’humus qu’il contient.

Cette connaissance est le b.a.ba de l’agriculture: « Je connais donc je peux cultiver. » En effet, si mon sol contient de mauvaises argiles ou s’il a une mauvaise matière organique, il sera peu fertile.

Depuis le début de l’agriculture, les agriculteurs ont compensé ces faiblesses naturelles par les amendements dont les deux mamelles sont le marnage (apport de bonnes argiles calcaires) et le compostage (apport de bons humus). Pourquoi des argiles calcaires ? Parce que le lien qui attache les argiles négatives avec les humus négatives est le calcium (Ca2+). Lorsque qu’une région était dépourvue de marne, les paysans apportaient du calcaire broyé ou du lithothamne. Les amendements représentaient un gros travail. On partait en hiver remplir les tombereaux de marnes collantes et gluantes que l’on répartissait en petits tas dans les champs. Avec les mêmes tombereaux on répartissait le compost en petits tas et au printemps lorsque le gel avait éclaté la marne, on mélangeait au râteau marne et compost pour faire le complexe argilo-humique. Les paysans n’étaient pas des pédologues mais ils savaient observer, sentir et ils avaient le courage de suivre la nature. Ce qui est remarquable c’est que le marnage devait s’effectuer une fois par génération à la dose de 30 tonnes/ hectare et l’on sait maintenant que le rythme de la production d’argile par un sol vivant est, dans nos climats, de 1 à 2 tonnes/ hectare. Lorsque l’on doit marner, il faut choisir l’argile qui a la meilleure C.E.C, c’est à dire la plus grande surface interne entre les feuillets. Cette surface va de 30 m² pour 1 gramme, pour les plus mauvaises argiles (kaolinites) à 800 m² pour 1 gramme, pour les meilleurs (Smectites). De même, pour la matière organique il faut apporter un compost très riche en humus à forte C.E.C, très riche en champignons (basidiomycètes) et très riche en faune (au moins 1 million d’animaux par tonne)

Pour avoir un humus de qualité, il faut éviter d’apporter des résineux dans le compost car ils forment un humus à très faible C.E.C (Mohr) et il faut apporter du calcaire dans le compost pour former l’humus qui a la plus forte C.E.C, le Mull. Il faut que le compost soit riche en lignine (bois raméal, pailles) car seule celle-ci donne naissance à de bons humus. En plus elle n’est dégradée que par les champignons basidiomycètes qui sont les maîtres de l’humus. Gilles Lemieux a montré que la lignine syringyle du bois raméal des feuilles était la meilleure source d’humus surtout pour le compostage de surface. Lorsque l’on a des animaux il est recommandé de faire un compost en tas afin de le désinfecter lors de la chauffe.

Maintenant que l’on comprend mieux le fonctionnement du sol, et qu’il a été bien amendé, en marne ou en humus ou avec les deux, il faut favoriser les organismes vivants du sol afin que les plantes soient bien nourries.

Pour cela il faut favoriser la faune et les microbes du sol.

Il faut développer les trois faunes :

–       L’épigée qui vit au-dessus, qui broie la matière organique et aère la surface du sol par ses galères et ses boulettes fécales. On la stimule à l’aide du compost en tas ou du B.R.F

–       L’anécique, les lombrics qui brassent le sol, remonte l’argile de profondeur et la mélange, dans leurs intestins avec la matière organique. Ils ont une glande riche en calcium qui assure l’attache entre argile et humus. Ce sont les grands architectes du sol qui forment et remontent tous les jours évitant, par là même, le lessivage des éléments.

–       Enfin il faut stimuler la faune endogée celle qui nettoie le sol des racines mortes et qui aère le sous-sol par ses galeries. Comme elle ne mange que des racines mortes, on l’entretiendra en ne laissant jamais le sol nu et en pratiquant des cultures intercalaires avec des plantes à fort enracinement (un seigle fait 600 kms de racines).

Un sol bien amendé grouille du sous-sol au plafond d’une faune aératrices et broyeuse, il ne reste plus qu’à encourager les microbes à nourrir les plantes.

Il y a deux grands types de microbes dans le sol :

–       Les humificateurs : Les champignons basidiomycètes.

–       Les minéralisateurs : Bactéries, Actinomycètes et champignons inférieurs.

Les uns font l’humus pour créer le sol, les autres minéralisent l’humus et les roches pour nourrir les plantes. Les uns remplissent le frigidaire les autres font la cuisine.

Comment encourager les fabricants d’humus, les champignons ? En leur donnant avec parcimonie leur aliment préféré : Le B.R.F et leur plat plus quotidien : Les pailles, pour faire simple, en leur donnant des végétaux riches en carbone et pauvres en azote. Pour cela, il faut intégrer dans le champ ou le jardin, l’arbre sous forme de haie ou d’arbre de plein vent. Il est le roi de la nature, le compagnon indispensable du jardinier et du paysan.

Comment encourager les minéralisateurs ? En leur donnant des végétaux ou des excréments riches en azote et pauvres en carbone. Pour cela l’agriculteur apportera les engrais verts, les fientes de volailles, les excréments d’animaux et bien sûr des roches broyées (calcaire, dolomie, kiesérite, gypse, patentkali …etc) surtout celles qui manquent à la géologie locale.

Enfin, il faut que le paysan stimule l’ensemble des microbes minéralisateurs c’est à dire les différents groupes microbiens liés aux différents nutriments. Pour cela, il faut pratiquer la rotation pour les plantes annuelles et l’association pour les plantes pérennes. On alternera ainsi la famille des crucifères qui stimulent par leurs racines les bactéries du cycle du soufre, la famille des légumineuses qui stimulent les bactéries du cycle de l’azote et du fer, la famille de liliacées (ail, oignon, poireau…etc) qui stimulent les mycorhizes…etc. Chaque espèce de plante dialogue avec les microbes du sol en lui envoyant par ses racines des sucres ou des protéines en échange de nutriments. Symbiose complexe et variée dont nous découvrons lentement les mystères.

Pour les plantes pérennes, on associe le pêcher avec la vigne, la prairie avec les arbres fruitiers, les poulets et les vaches. On alterne toujours les espèces d’arbres dans une haie afin d’éviter ces « blockhaus » végétaux de Thuya qui roussissent brutalement à cause d’une maladie pour laquelle on a créé une autoroute.

Avec toute cette délicatesse l’agriculteur devient un paysan, un homme qui fait le pays en créant, à son échelle l’équilibre agro-sylvo-pastoral. Il gère son sol par les amendements, il nourrit la faune et les microbes de son sol. Cette approche lui garantira la pérennité de son agriculture, la pérennité de son sol et de son environnement. Les longues heures investies pour semer, travailler le sol, arroser et récolter seront récompensées par la production d’aliments de qualités, riches de la typicité de leur Terroir, au milieu d’un environnement foisonnant de biodiversité où il est bon d’admirer les levers et les couchers de soleil, d’écouter le chant des oiseaux et des insectes et de regarder patiemment s’épanouir les plantes.

 

Claude et Lydia Bourguignon
Directeurs du LAMS

http://www.lams-21.com/artc/1/fr/