Religions traditionnelles et nouvelles quêtes de sens

Il est relativement facile de s’intéresser en passant aux nouvelles quêtes spirituelles. Il est moins évident d’y plonger et d’y demeurer longuement immergé, en estimant possible de s’enrichir à leur contact. Le «  Nouvel Age » a été disqualifié parce qu’il a été trop souvent perçu dans ses aspects contestables ou ridicules. Il ne faudrait pas oublier qu’il possède deux monuments de mystique et de philosophie : Sri Aurobindo (1872-1950) et Ken Wilber, lequel vit actuellement aux Etats-Unis. Le premier est le fondateur de la voie spirituelle dite du « yoga intégral » et le second peut être dit le philosophe de l’intégralité. Ils sont superbement ignorés de la plupart des Français qui ne les connaissent même pas de nom. Or, dès 1924, Sri Aurobindo, le « maître de Pondichéry », auteur d’une œuvre monumentale, annonçait un « nouvel âge de l’humanité ». Les nouveaux courants de sens seraient-ils donc moins farfelus qu’il n’y paraît ?
 
 
 • Des questions dérangeantes
 
 S’ils sont sérieux, ils deviennent gênants puisqu’ils relativisent les « anciennes » traditions. Certains estiment, en effet, que toutes les religions actuelles souffrent de désuétude radicale et sont en train de dépérir lentement mais sûrement sous nos yeux. Elles ont certes rendu de grands services mais elles ont, tout simplement, fait leur temps. Le moment est venu d’une grande religion universelle qui reprenne et synthétise le positif des religions « passées » tout en s’aventurant plus loin. Selon une autre perspective, il s’agirait plutôt de mettre en œuvre un élagage par suppression des ajouts de l’histoire afin de revenir à une seule « tradition primordiale ».
 D’autres encore accordent un certain respect aux anciens et ne les placent pas d’emblée en maison de retraite ! Ils demeurent sensibles à la grandeur des messages transmis et ne se situent pas totalement hors religions traditionnelles. Cela se révèle lors des mariages et des baptêmes, où, bien qu’étant plutôt un habitué de tel ashram ou de tel maître, on fera appel , par exemple, à un prêtre catholique. C’est ainsi qu’il m’est arrivé de recevoir deux jeunes liés à une communauté très habitée par la tradition hindoue. Ils souhaitaient se marier. Surprise : ils avaient choisi de s’adresser à un prêtre catholique à la suite d’une enquête dont ils avaient conclu (à tort ou à raison) que le prêtre catholique bénéficiait de la formation la plus longue ! Ainsi l’ancienneté du groupe, l’étendue de son expérience, la formation qui y était donnée, n’étaient plus considérés comme des obstacles mais comme des éléments rassurants et inspirant confiance. 
 
• La nécessaire régulation par les traditions passées
 Les nouvelles quêtes spirituelles ne peuvent guère se passer de l’expérience des ancêtres si, du moins, leurs membres cherchent quelque discernement sur leur expérience. Les mystiques de tout temps et de toutes tendances jouent ici un grand rôle car ils sont facilement acceptés comme instance valable de régulation. Ils sont perçus comme hors dogmatisme, hors moralisme, hors statisme. Explorateurs des profondeurs de l’humanité, ils peuvent indiquer la voie d’un homme nouveau et leurs découvertes prouvent à chacun qu’il est bien plus vaste qu’il ne le croit. Ces géants, riches d’une immense expérience, méritent une écoute respectueuse parce que seuls ceux qui peuvent faire état d’une expérience ont droit à la parole. Ce ne sont pas les gens cultivés qui intéressent, mais les gens « branchés »
 
• Quelle vigueur chez les anciens ?
 
 Au fond, les nouvelles quêtes spirituelles posent aux religions cette inquiétante question : votre tradition possède-t-elle encore des capacités de renouvellement ? Où en est sa vigueur ? Jésus s’est appuyé sur sa tradition juive pour avancer. Sri Aurobindo s’est appuyé sur sa tradition hindoue pour annoncer une nouvelle phase de la vie humaine. Rester dans la répétition c’est, selon la psychologie de Sri Aurobindo, se recroqueviller dans le « mental physique », une zone inférieure de l’esprit, « inerte », « obscure », « peu disposée à s’élargir », « récalcitrante aux nouveaux stimulants, conservatrice et immobile ». Voici quelques points sur lesquels nous interrogent les nouvelles démarches. 
 
 
• Un avenir pour l’humanité
 
 Il s’agit ici de « Nouvel Age », donc d’avenir. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de trouver, dans un dictionnaire biblique, le terme de « Royaume des cieux » traduit (à cinq reprises !) par… « Nouvel Age ». Et il est bien exact que la Bible appelle des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Voilà un point de contact important avec les courants dont nous parlons. La lignée christique, si elle demeure fidèle à ses sources, ne peut qu’accorder une grande importance à l’invention d’un avenir. Le rôle de toute tradition est, bien sûr, de transmettre. Mais pourquoi ne transmettrait-elle que du passé antérieur et non du passé ultérieur, c’est à dire capable d’avenir ? Bref, n’est-il pas possible de transmettre de l’avenir ? « L’homme est une incarnation de l’avenir » disait un ténor du nouvel Age. Belle définition tout aussi valable dans l’univers christique. « Faites ceci en mémoire de moi », c’est à dire rendez le Don présent aujourd’hui et proclamez ainsi que l’avenir est lié à la réussite des relations qui se tissent entre vous, les habitants de la planète. 
 
 
• Tout est Energie
 
 Une grande part, sinon la totalité, des nouveaux pèlerins se comprend par l’importance capitale qu’ils accordent à l’Energie. Tout ici est énergie, l’Energie fondamentale éclatant en multiples sous-énergies, en multiples niveaux et fonctions énergétiques, depuis l’énergie physique jusqu’à l’Energie spirituelle. Nous voici donc rappelés à l’importance de l’Esprit Saint, ce Souffle qui traverse la Bible de part en part pour en fait une histoire proprement énergétique. Il serait malhonnête d’appeler à un monde nouveau sans fournir le moyen d’y parvenir ; nous serions alors dans l’utopie au sens le plus irréaliste et le plus négatif du terme. Mais l’utopie se détruit comme utopie (négative) lorsqu’il existe des moyens proportionnés à l’obtention de son objectif. Les deux perspectives, christique et new age, se rejoignent dans cette même proposition d’une Force supérieure à la hauteur de l’évolution rêvée. Reste évidemment à discerner entre travail de l’Esprit-Saint et rôle des énergies. Car l’Esprit-Saint cherche à façonner en nous Jésus-Christ et il aide à unifier l’ensemble de la vie autour de lui. Il est certes question de Jésus – ou du Christ – dans les nouveaux courants spirituels. Mais il importe de bien examiner ce qui est placé sous ces mots. Comme on le sait, les fantaisies concernant Jésus ne manquent pas. Par exemple, il ne serait pas mort à Jérusalem mais au Cachemire où il aurait aujourd’hui une descendance. Mais il est intéressant de remarquer que, au milieu de tout ce fatras, le visage de Jésus demeure incontournable, comme le prouve ce passage d’un texte célèbre dans les milieux qui nous intéressent, la « Grande Invocation » d’Alice Bailey :
 Du point d’Amour dans le Cœur de Dieu
 Que l’Amour afflue dans le cœur des hommes 
 Puisse le Christ revenir sur terre.
 
• Sauver Jésus ?!
 
 Nous voici parvenus à l’interrogation essentielle : Jésus peut-il être sauvé ? En effet, beaucoup pensent (et pas forcément des moindres) que son message a fait son temps et qu’il s’agit maintenant de passer à d’autres prophètes plus adaptés à la situation présente. Il serait très imprudent de prendre ce problème à la légère. La question est tout à fait pertinente et rappelle brutalement à l’homme christique que c’est lui la présence de Jésus aujourd’hui. En reprenant ce qui a été dit, il lui est donc demandé :
 – d’être un homme de l’avenir
 – d’être mu par la « Force d’en-haut »
 – de témoigner d’une véritable expérience christique, par-delà lois et dogmes.
 
 
C’est à ces conditions que le visage de Jésus sera sauvegardé et amplifié pour le bien des pèlerins tâtonnants de notre siècle.