SILENCE

Prêtre d’une paroisse de l’Est parisien, me voilà sollicité pour vous livrer quelques réflexions sur ce beau thème du silence. 

« Réfléchissez dans le secret, faîtes silence !» dit le psaume 4 qui figure à l’une des journées de l’office de complies récité avant de s’endormir par les religieux, prêtres ou laïcs. Le silence est cette respiration si nécessaire à notre vie quotidienne pour pouvoir reprendre souffle, être un peu avec soi même et aussi pour le croyant pouvoir penser à son Créateur, au Christ qui nous a promis sa présence tous les jours jusqu’à la fin du monde. Jeune, j’avais aimé le livre d’Hemingway appelé le vieil homme et la mer et sa superbe description du pêcheur, seul face à l’océan. Comment celui-ci peut-il s’adonner à sa passion s’il n’aime pas le silence ? 

«  Silence, on tourne ! » crie le caméraman afin d’éviter lors d’un tournage des bruits parasites. N’avons-nous pas dans notre propre vie des bruits qui nous encombrent ? N’avons-nous pas peur du silence tant et si bien qu’il nous faut un bruit de fond : radio, télévision, ipod ,etc.? Il semble que le silence nous fasse peur comme si nous ne voulions pas pouvoir nous retrouver avec nous-mêmes et pour le croyant avoir la possibilité d’une pensée aussi furtive soit elle pour notre Dieu. Quand j’interroge des fiancés, je constate que souvent, ils prennent leurs repas face à un écran de télévision en marche. Le véritable dialogue ne risque t-il pas de devenir difficile ? Des jeunes me disent qu’ils sont incapables de s’endormir sans écouter de la musique ! Nous risquons d’avoir beaucoup de mal entendants dans les générations à venir et aussi des personnes qui auront peur de goûter à cette respiration vitale du silence. Le sommeil est sans doute lié à la mort puisque saint Paul parle de s’endormir dans la mort. Notre monde contemporain occulte la mort et c’est sans doute pour cela aussi qu’il aime de moins en moins dormir. Les statistiques sur le sujet montrent que notre temps de sommeil a beaucoup diminué par rapport aux générations précédentes. Ne serait-ce pas aussi lié à un refus du silence, à la peur de se retrouver face à soi même ? Le silence est important à l’issue d’un concert entre la dernière note et la salve d’applaudissements. Il permet au temps d’être « suspendu » et donne un espace pour respirer. Le succès du film «  des hommes et des dieux » n’est-il pas lié à ce que ces moines avaient su au cœur de ce monde algérien en crise offrir leur vie à Dieu et trouver dans le silence le temps nécessaire au discernement pour savoir s’ils devaient quitter ou non ce pays ? 

« Silence ! Sors de cet homme ! » (Marc 1,25) ordonne Jésus à l’homme possédé de la synagogue de Capharnaüm. Le silence lui permet alors d’abandonner ses paroles désordonnées et de laisser la place à Celui qui est la Parole faite chair. Il est alors libérant et libérateur. Dans notre vie, essayons-nous aussi de faire taire nos démons intérieurs qui peuvent nous ronger la vie pour laisser la place au Christ qui est la Parole faite chair. Comment l’écouter si nous ne faisons place au silence ? Il est idéal de pouvoir vivre un temps de retraite, c’est-à-dire de pouvoir durant plusieurs jours dans le silence prier, écouter la Parole, se laisser accompagner par un guide spirituel. Il est bon également de laisser du temps au silence dans notre quotidien ce qui peut permettre au croyant d’avoir un temps pour un cœur à cœur avec le Seigneur et pour écouter sa Parole. Nous ne sommes pas toujours prêts à vivre ce silence comme l’a montré la réception diversement appréciée du film « le grand silence » axé sur la vie des moines chartreux. Certaines personnes quittaient la salle pendant la séance ! 

Le silence a aussi son versant négatif et est donc une notion ambivalente. Le silence peut être lourd pour celui qui souffre de la solitude et nous savons que celle-ci a été décrétée grande cause nationale dans notre pays. Quatre millions de Français en souffrent. S’il n’aime pas le silence, notre monde est aussi avare de vraies paroles tant et si bien que beaucoup de nos contemporains n’ont que quelques vraies conversations dans l’année. Le silence peut s’installer entre deux êtres et même au sein d’un couple : il renvoie alors à une absence de communication et peut s’expliquer par une incompréhension qui est telle que chacun préfère se taire. Le silence est alors une chape de plomb qui pèse sur la relation et qu’il sera bien difficile d’enlever. Et bien sûr, nous pouvons évoquer le thème du silence de Dieu : silence de Dieu face aux drames actuels ( tsunamis par exemple), à ceux du XXème siècle comme la Shoah. Le psalmiste n’hésite pas à interpeller le Seigneur : « Tu as vu, Seigneur, sors de ton silence ! Seigneur, ne sois pas loin de moi ! Réveille-toi, lève-toi, Seigneur mon Dieu, pour défendre et juger ma cause ! » (Psaume 34). 

Puissions-nous dans notre vie faire place au silence afin que nous puissions écouter nos contemporains. Que surgissent du fond de nous-mêmes de vraies paroles et en lien avec elles des actes qui fassent grandir et vivre !

Esprit d'avant