UNE COMMUNAUTÉ EST UN LIEU DE PAROLE
Denis Primard est né en 1942 dans une ferme en Essonne, le Rotoir. Son père avait décidé de s’installer à la campagne, d’y regrouper des amis autour du travail de la terre et de petites entreprises artisanales afin d’unifier étude, vie de l’esprit et travail manuel. Comme ses huit frères et sœurs, les enfants des amis venus vivre avec eux, il ne va pas à l’école. Ce sont tous les parents, les stagiaires qui font la classe et l’apprentissage au groupe d’enfants ainsi constitué. A l’université, Denis étudie la philosophie et les sciences économiques. Il mène en parallèle une formation de menuisier.
En 1967 il crée son artisanat. En 1978, il épouse Brigitte Boutry, philosophe et sociologue de formation. Avec Paul Kutchukian, ils vont créer alors l’association la Roquette, qui va embaucher des personnes en situation de précarité. Parallèlement ils acquièrent un local industriel dans le dix-neuvième arrondissement, avec cinq autres familles, le transforment pour s’y loger, réservant plusieurs studios à l’accueil.
En 1985, Brigitte et Denis participent à la création de Solidarité nouvelle face au chômage initié par Jean-Baptiste de Foucauld. En1988, ils initient à leur tour Solidarités nouvelles pour le logement avec la création d’un premier groupe local sur leur quartier et l’achat du premier logement. La dynamique consiste à :
– Se regrouper à plusieurs pour créer un logement,
– Le proposer pour un temps limité d’occupation avec des rencontres régulières,
– Trouver ou créer ensemble des solutions plus durables.
Cent dix groupes locaux sont actifs aujourd’hui en Ile-de-France, huit cent logements ont été créés.
Leurs cinq enfants rejoindront l’école classique en seconde pour l’ainée, en sixième pour le dernier.
Brigitte meurt des suites d’un cancer en 2008. Elle avait quitté l’association en 2002.
« Entre humains nous pouvons nous donner la vie »,
« la recherche de la vérité du sujet est première »,
auront été les convictions profondes qu’elle s’est efforcée de mettre en œuvre toute sa vie.
Denis a quitté l’association en 2004, et poursuit sa recherche dans plusieurs groupes où la parole de chacun donnée, écoutée est première.
Pour qu’une initiative prenne corps, la concertation est primordiale.
Définir une communauté par son œuvre est une tentation. Sans doute est-ce comme cela qu’elle est vue de l’extérieur et certainement, la communauté existe si elle œuvre mais, fondamentalement, c’est le dessein, avant même le projet, qui la fonde. Le dessein se discute, se partage. Il va partir d’une initiative, recevoir des appuis. Il n’est pas figé. S’il y a échange et concertation, chacun va avoir possibilité d’y être acteur. Chacun va pouvoir s’y inscrire et le faire évoluer. C’est la parole qui est la vie de la communauté.
Définir le dessein, c’est l’élan même. Au contraire des communautés plus anciennes qui étaient souvent organisées sur la répétition, où chacun trouvait sa place mais dans une structure et des rôles déjà définis, il faut penser des petits groupes, une douzaine tout au plus, pour que la parole puisse s’organiser de manière assez heureuse. Si un petit groupe a un dessein de création et veut avoir prise sur l’avenir, s’il se dote du support matériel nécessaire à cette création et permet la concertation entre ses membres, une communauté se met à l’œuvre. L’œuvre, c’est essentiellement un dessein concerté, basique et très simple. Dès qu’il n’est plus concerté, si l’un ou l’autre essaie de prendre la maîtrise, la puissance qui était en marche, se perd ou se fige.
Nous avons pu observer cela au Rotoir. Cette communauté créée par mon père a été un laboratoire d’initiatives très privilégié. C’est là que Jean Bardet et Paul Flamand ont pensé la création de la maison d’édition « Le Seuil ». Eux et leurs partenaires suivaient de très près « ce qui s’écrit » avec un certain niveau de culture, ils ont commencé à chercher ce qui s’adresse aux besoins premiers, à tout le monde, puis, comment ils pouvaient y greffer un approfondissement, des expériences. Nous avons vu démarrer des choses incroyables avec très peu de moyens. Nous avons surtout senti la force des discussions tout au long du lancement et de l’élaboration de leur dessein. La condition sine qua non est que la parole ne soit pas accaparée par l’un ou par l’autre, que la parole circule. Cela veut dire que les personnes vont se différencier, que l’on va rechercher la parole de chacun, se soucier de chacun.
Mon père aurait pu prendre la place de celui qui décide pour les autres. C’est lui qui avait eu l’initiative et avait établi les conditions pour que quelques familles puissent vivre ensemble. Mais il n’était pas manuel. Il ne savait pas comment les choses pratiques devaient se faire. C’est Marcel Legros, qui à l’arrivée des machines a vu combien le tracteur pouvait alléger le travail et a su le convaincre d’en faire l’achat. Mon père avait une réelle autorité sur les autres mais sa parole n’a pas été plus forte.
Nous, les enfants, on était neuf, on ne pouvait pas être neuf comme papa. Il fallait que nous trouvions des modes d’action différents.
Vivre à plusieurs suppose que l’on sache demander pardon
Bien marquer la volonté de vivre avec autrui c’est retrouver le lien entre la promesse et le pardon. Comme le dit Hannah Arendt à propos des groupes, petits ou larges, toujours, pardon et promesse sont liés. On le voit dans l’histoire des religions, des nations, des familles, on peut faire des choses formidables mais aussi commettre des erreurs. Reconnaître ses erreurs et demander pardon est une ressource fondamentale pour nos relations humaines. Il ne faut pas hésiter à y avoir recours. Derrida met l’accent sur cette exigence : demander pardon pour être à nouveau reconnu par l’autre et surtout, que celui qui a subi l’offense donne son pardon. Ce qui est important est que ce soit un échange. La violence vient quand on n’est pas près au pardon réciproque, ce qui ramène à l’importance d’un dessein commun. Peut-on se préparer à un pardon réciproque sans avoir de dessein partagé où l’on puisse s’inscrire en acteur ?
Aujourd’hui la communauté consiste à créer des espèces d’ententes à plusieurs, alors il faut accorder beaucoup de temps à la rencontre personnelle. Le temps pris par l’un et l’autre est apprécié. L’œuvre disparaît. Elle n’est même plus prétexte. Ce qu’on peut faire en se regroupant et en gardant la volonté de bien vivre avec autrui c’est favoriser la venue de la parole. La parole partagée est déjà une action commune.
Il faut être très vigilant dans les regroupements car le risque de l’attraction de l’identité communautaire est fort pour certains quand ils n’ont plus rien et le danger de déclencher de grandes violences pour se faire entendre est présent. La formulation d’un dessein élargit la donne et les perspectives de reconnaissance.
Garder contact avec le matériel est un critère d’équilibre
Les formes de communauté changent. La communauté de vie, responsable de ses moyens de subsistance, comme avait voulu mon père, est quasiment impossible maintenant. Mon père pensait essentiel de rester indépendant en produisant ce qui permet de subvenir aux premiers besoins. Il avait découvert pendant la guerre de 14 que les paysans avaient de beaucoup plus jolis colis que les urbains. Il était convaincu aussi de l’importance du travail manuel pour assurer l’économie et garantir les conditions d’une pensée libre. Mais il ne fallait être ni tout artisanal, ni tout agricole. C’est comme ça qu’il a rassemblé les familles et les activités au Rotoir. Certains travaillaient à la ferme, d’autres à la lingerie. Il y en avait qui fabriquaient des parpaings. D’autres activités artisanales, confection de vêtements, fabrication de biscuits, se sont organisées, selon les époques, les personnes et les capacités, ce qui donnait lieu à des échanges avec la ville. On y apportait le linge lavé, on y vendait les pommes de terre et on rapportait quelques autres achats. Sur le modèle de la vie monastique et sous l’influence du père Désiré, un grand temps était réservé pour le chant et l’étude.
Dans le contexte actuel, avoir recours à la terre pour subvenir aux besoins d’une communauté, est difficile à concevoir. Il n’en demeure pas moins que faire des jardins ou se nourrir de légumes et de fruits dont on sait d’où ils proviennent est un désir fort. Les ententes que propose le mouvement des AMAP est un nouveau modèle. En échange d’une cotisation par mois, les gens de la ville peuvent se ravitailler grâce à des paniers que les agriculteurs et les maraîchers apportent. Pour le cultivateur, c’est une sécurité parce que la cotisation est fixe, quelles que soient les intempéries, et pour les gens de la ville, c’est un moyen de rester dans une relation plus juste avec la terre.
Dans les communautés d’aujourd’hui l’origine des moyens de subsistance est remise en cause tout autant que le sont les modes d’échange. Il n’est plus possible de tout faire : les soins, l’éducation, la nourriture et, plus encore, prendre en compte toutes les dimensions laisserait planer le risque totalitaire. C’est avec des ententes limitées ayant un but circonscrit qu’on va retrouver les intérêts de chacun. L’expérience de SNL s’est développée sur une entente limitée, le logement, et rien d’autre. Il s’agissait de se concerter sur la manière dont on allait créer et gérer un logement qui puisse permettre de pratiquer l’hospitalité d’une manière nouvelle. Aucune forme d’école, ni de production ne rentrait dans ce dessein.
Il y a une vraie possibilité de générer une puissance à plusieurs. Il faut trouver comment cela peut fonctionner en laissant une place à chacun. Les communautés qu’il faut construire d’urgence, ce sont celles qui se mettent dans les racines du simple. Quand on fait son manger, penser à autrui et prévoir un mode de partage, c’est déjà œuvrer pour une meilleure communauté. Au Moyen-âge, les communautés monastiques parvenaient à soigner, loger, faire lire. D’une manière complètement nouvelle, on pourrait avoir ces capacités, santé, école, logement, nourriture, et les conduire avec des formes d’accueil et d’échange.
Le lien commun vient de ce que chacun est acteur
Le premier groupe d’action de SNL – Solidarité Nouvelle pour le Logement- a dû tout faire : rassembler l’argent, prospecter, trouver le logement, décider qu’on allait le prendre de manière associative, trouver les modalités de cette association. Après la réussite de cette expérience, SNL a créé un deuxième groupe et, pour profiter des acquis, le premier groupe est resté pilote de l’action. Cela a peut-être été une erreur. L’idée de profiter des savoir-faire éprouvés a pris le pas sur la possibilité donnée à chacun d’être acteur. Dans le premier groupe, tout le monde s’impliquait fortement. Lorsque l’action a été mieux organisée, les participants ont été moins impliqués. L’organisation est nécessaire pour être efficace mais il faut prendre garde à ne pas vouloir y mettre sa propre marque, au risque de prendre le rôle du grand inquisiteur de Dostoïevski : «je vais vous montrer ce que vous devez faire».
La notion de groupe est réinventée quand chacun peut être acteur. Un exemple remarquable d’un projet réussi grâce à cette exigence est «l’école institutionnelle» de Fernand Oury. L’idée est simple et éducatrice : c’est en prenant l’avis de tous que l’on progresse dans la vie quotidienne en groupe ou en institution ; c’est en discutant des comportements, en les repérant et en les accompagnant, que l’on résout les craintes et que l’on s’éduque. Tout peut-être remis en question par quiconque mais selon un protocole contrôlé. Chaque vendredi après midi se tient une assemblée générale où tout va être ordonné. Une seule chose ne peut être bougée, c’est le respect des autres et la parole. Les enfants prennent en charge l’accueil, la cuisine, la vie du groupe. On ne grandit pas tout seul. On a autant besoin d’être en contact avec d’autres que de s’organiser autour d’un support matériel qui donne à la parole son lieu d’être.
Notre société devrait montrer de la créativité pour rassembler sur des projets simples qui permettent à chacun d’être acteur à part entière. Simples parce que sinon on a tendance à déléguer à quelqu’un d’autre. On a vraiment besoin et désir d’égalité. Il n’y a que dans la société civile que l’on peut être à égalité. Il faut des endroits où la hiérarchie n’existe plus. Autrefois c’était dans les cafés de village que l’on était à égalité. Maintenant il n’y a plus d’endroits où il n’y a plus de hiérarchie, plus de groupes où l’on peut parler sans jeux de pouvoir. Dans la mesure où il est acteur, chacun a une autorité. C’est très différent de la hiérarchie. Celui qui sait faire quelque chose a une autorité sur ceux qui ne savent pas le faire. L’autorité est ouverte à l’autre, elle n’est pas omniprésente. L’autorité se partage.
Un autre exemple est celui des associations «Participe présent» qui donne la parole à des jeunes et à des moins jeunes. Un peu comme Vaclav Havel qui a su donner la parole à ceux qui n’ont pas de voix. Le déroulement des rencontres consiste à mettre les personnes dans la situation de parler en public, faire une télé réalité en laissant les personnes élaborer des séquences sur leur témoignage et à les suivre.
De cette manière, l’apprentissage des règles les plus fondamentales peut se faire par un échange et par la discussion. Cela pourrait même être un souhait implicite de la part des enfants à l’heure actuelle. Ils vivent avec très peu de repères. Ils sont souvent dans des situations où tout paraît possible et ils découvrent après qu’ils en sont malheureux. Vivre la relation avec autrui, c’est très vite vertigineux. Quand il y avait des interdits ou des garde-fous, ils allaient moins loin. En parlant avec d’autres générations, ils découvrent d’autres façons de voir, ils s’ouvrent à d’autres choses qu’ils n’arrivent pas à formuler ou à penser entre eux. Entre semblables, ils se confortent. Chacun va un peu imiter l’autre. Mais ils ne prennent pas vraiment les mesures pour devenir acteurs de leur vie. Par contre, si vient la possibilité de créer des groupes où il y a des différences, d’âges, d’expériences, l’expression permet la rencontre d’un certain bon sens. La communauté devrait non seulement libérer la parole mais aussi canaliser l’énergie. La parole fonctionne vraiment comme un mécanisme régulateur. Elle réintroduit l’expérience du simple qui a du sens.
Le rôle du groupe est avant tout de donner confiance
La parole est essentielle mais elle ne peut exister pour elle-même. Elle permet que l’humain soit ou devienne acteur. La première vigilance est que la pensée n’aille pas trop vite par rapport à la réalité des choses. Il faut aussi veiller à ce que la réalisation du support ne prenne pas le pas sur les relations et n’absorbe pas tout.
Pour SNL le support, faire un logement, cela a tout de suite été trouvé. Mais il a fallu veiller à ce que la réalisation des logements, n’absorbe pas tout. Le support est utile pour la manifestation de l’homme dans son humanité. Par l’intermédiaire de ce support l’homme va rencontrer l’autre, vivre, être reconnu. Pas pétrifié. Il y a un moment où le support ne doit plus servir. Il doit être entre parenthèses pour laisser la place à la rencontre entre deux êtres, entre plusieurs êtres.
A d’autres moments, le plus important est de créer de la relation, de laisser venir la confiance. A «La Roquette», association créée avec Paul et Brigitte, certains disaient «ne te fais pas d’illusion, je ne suis pas là pour devenir acteur, je suis là pour gagner de l’argent et pouvoir le boire». Ils se pensaient trop en échec, trop malheureux pour devenir « acteurs ». Ce qui leur était le plus nécessaire, c’était la qualité de rencontre qui leur permettait d’entendre une voix leur dire «un espace est ouvert devant toi». J’en ai reconstruit des cloisons laissées bancales ou en plan parce que l’ouvrier n’avait aucune confiance dans sa manière de faire. J’avais laissé un espace et puis, c’était mal monté, il fallait casser et refaire. D’une fois sur l’autre, il n’y avait aucun progrès. J’ai découvert par Brigitte que le travail n’était pas toujours le bon endroit pour commencer à grandir. Il fallait trouver où faire confiance. Quand j’ai demandé à Paul de s’occuper de mes enfants, il a eu l’idée d’acheter une maquette et de la réaliser avec eux. Là il est devenu excellent. Il avait son espace. C’est parfois difficile de trouver le mode sur lequel quelqu’un devient bon et parvient à s’apprécier comme tel.
Pour ça, avec la communauté, il faut se méfier aussi. Si les personnes n’ont pas en elles un certain degré de confiance, les rassembler n’est pas forcément le mieux.
La vie vient de se relier aux autres et de renouer avec la confiance. Brigitte disait: « Entre humains nous pouvons nous donner la vie.» Concrètement, dans une communauté comme celle de la rue Bouret où chacun a des activités différentes, l’attention aux autres est fondamentale. C’est une communauté qui a très bien fonctionné. Chacun a pris un rôle d’acteur pour des petites tâches. On se retrouve autour d’échanges, pas nombreux, mais vrais. On n’a pas besoin d’échanger beaucoup. Il y a une vraie solidarité, une vraie proximité, très délicate. Quand on a la puissance de faire ensemble, on devient aussi très délicat vis-à-vis de l’autre.
Une communauté n’est bien «finie» que si elle prépare la transmission
Une communauté qui vit bien doit aussi finir. Un jour on va mourir et on se demande ce que l’on va transmettre. Finir, c’est peut- être innover à nouveau. Ce qui a été fait, ce ne sont pas des œuvres impérissables comme faisaient les Grecs. Il faut laisser finir et laisser le champ propre.
Il faut constamment être vigilant à ce qu’un projet qui a abouti ne prenne pas la place d’une institution. Dans cette dynamique, la communauté peut-être très éphémère. C’est important pour la créativité. L’accord réalisé pour la création se dissout sitôt le projet atteint. C’est bien de commencer. C’est bien aussi de finir pour laisser la place à autre chose. Un peu comme quand tu achèves ta vie, tu fais propre pour que le neuf puisse advenir.
On dit que les jeunes n’ont plus de travail. On a l’impression que la société est tellement bien barricadée qu’il n’y a plus de place. On se demande ce qui peut briser les barricades.
Je vis ça très fortement avec mes enfants et veille à ne pas trop encombrer le terrain. Il faut qu’ils sentent que c’est ouvert. C’est leur créativité qui est attendue, bien plus que de les voir entrer dans un moule. J’ai beaucoup entendu cela de mon père. «Ne refais pas ce que j’ai fait». Mon père agissait un peu comme le roi Salomon : «Je lance l’affaire, je prends l’initiative. Et puis voilà. A vous de jouer. Et puis si vous avez d’autres initiatives, ne cherchez pas à gouverner tout». Même s’il avait assez le sens de l’aventure, il n’avait pas envie de gouverner tout. Même pour nous, son désir était que nous allions recréer quelque chose ailleurs. Mon père était désireux que nous repartions de rien.
Le partage suppose que l’on ait conscience de ses droits mais aussi de ses devoirs
Il importe que la société civile s’organise pour prendre en charge une partie des éléments qui constituent notre vie quotidienne, pour créer des ententes qui pourront prendre en compte les difficultés particulières de chacun. Sur le plan du logement, de l’éducation, face à la vieillesse et à la maladie, on a besoin de s’organiser un peu et on ne peut pas attendre tout du secteur public. On attend beaucoup de l’école, beaucoup trop. Il faut trouver des compléments car elle ne peut pas tout faire. Ce dont on manque le plus, c’est d’initiatives qui permettraient des relations entre les uns et les autres, sur les choses les plus simples. Donner goût à des initiatives qui peuvent être artisanales est un complément indispensable aux grandes institutions publiques.
Par exemple pour l’accueil des étrangers. Les étrangers qui arrivent en France ne sont reçus par personne. C’est effarant. Plus effarant encore que les pouvoirs publics édictent des lois interdisant de les accueillir. Si l’homme ne peut pas agir vis à vis d’un autre homme selon la simple humanité, c’est la violence absolue.
On dit que notre société manque de lien, mais en mettant les droits tellement en avant, on a tout fait pour éveiller l’exigence plus que les liens. Derrière chaque droit, on apprend à revendiquer les prises en charge. Il faudrait se rappeler aussi les devoirs envers l’autre. On pourrait tant donner à l’autre ! «Entre humains, on peut se donner la vie» disait Brigitte. On peut se donner la vie, c’est plus beau que simplement un devoir. On a tout fait pour détruire les liens. Certains étaient fugitifs, d’autres étaient incommodes ou pénalisants, mais d’autres avaient de vrais avantages. Il reste à inventer de nouveaux liens. Créer des choses avec autrui, cela se réinvente constamment.
Denis Primard
Propos recueillis par Camille Petit