JACQUES, ES-TU LÀ ?
Allô ? Jacques ?
Cette semaine j’avais appelé plusieurs fois, mais en vain. Ce n’était pas dans tes habitudes, tu répondais promptement et le cas échéant tu rappelais rapidement. Tu savais que je voulais m’enquérir de ton état. Entre-temps, durant cette absence de réponse j’envisageais le pire, jusqu’au moment où je pris connaissance de ton courriel : « j’étais à la campagne, sans connexion. » Ouf, enfin, quelle frousse bleue tu m’avais flanquée. Évidemment que tu ne t’en rappelles pas puisque je ne t’en ai jamais soufflé mot. Tu ne t’attardais pas sur ton état critique et je ne laissais pas transparaître mon inquiétude. Chez nous, la pudeur était aussi en partage. En effet, pourquoi montrer le vilain, le malin quand on peut tout aussi facilement montrer la beauté et la bonté ?
Après ton départ, j’ai demandé : où sont ceux qui ont quitté la planète ? Es-tu plutôt en orient ou en occident ; plutôt sept pieds sous terre ou au septième ciel ?
Après ton départ, j’ai demandé aux chrétiens, aux juifs, aux musulmans, aux bouddhistes, aux hindouistes … où sont ceux qui sont partis ? Chacun m’a donné sa réponse.
Bref, j’ai fini par comprendre que tu es là, que ton souvenir et ta mémoire sont là, que tu seras toujours là. Ta progéniture, ton œuvre t’a survécu. Esprit d’Avant, te porte, te reflète et miroite quelque chose de ton esprit.
Nous avons certes parcouru un bon bout de chemin. Pour être plus précis, chacun cheminait à sa façon, sans concertation. À vrai dire, nous nous voyons très rarement, lors de ces traditionnelles assemblées générales annuelles. Mais à chaque retrouvailles j’ai toujours eu l’impression que nous nous étions quittés la veille, tant j’avais chaque fois l’impression de te rejoindre. Là où tu m’as semblé toujours installé : au sommet de la montagne. Au fur et à mesure des années j’eu l’impression d’en avoir gravi quelques versants majeurs. À chaque nouvelle retrouvaille, j’allais plus loin dans mon cheminement, j’étais plus haut dans mon ascension. En s’approchant du sommet d’une crête, on se retrouve bien plus proche que si nous étions restés au pied de la montagne. Mais surtout, on s’extrait de son groupe, on se surpasse, on transcende les traditions et on comprend à quel point l’homme intervient dans l’invention de sa religion.