L’AGROFORESTERIE

Agroforesterie : ce terme commence à faire son chemin. Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture (MAAF) soutient d’ailleurs clairement ces pratiques, notamment à travers le lancement de la plateforme « Produisons Autrement ».

Si l’agroforesterie est souvent qualifiée de novatrice, il ne faut cependant pas oublier qu’elle désigne des pratiques traditionnelles, répandues dans le monde entier. Loin d’être réservée aux pays émergents, elle a tout sa place en zone tempérée et représente un véritable potentiel pour développer une agriculture responsable, productive et durable.

Qu’est-ce que l’agroforesterie ?

L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole. Elle intègre toutes les formes arborées rencontrées sur une exploitation : alignements intra-parcellaires, haies, ligneux installés ou qui poussent spontanément en bordures de parcelles sur les limites foncières, bords de chemins, de talus, de cours d’eau (ripisylves), arbres têtards, simples arbres isolés ou en petits bosquets. Elle comprend également le sylvo­pastoralisme et les pré-vergers (animaux pâturant sous des fruitiers).

Il existe ainsi une grande diversité de systèmes agroforestiers, compatibles avec tous les systèmes d’exploitation : grandes cultures, élevage, maraichage, viticulture, arboriculture…

L’agroforesterie de nouvelle génération cherche à combiner ces différentes formes sur une même exploitation, à partir d’un diagnostic du milieu et des besoins de l’exploitant. Chaque projet agroforestier est unique et évolutif, pour s’inscrire dans la durée. Les agriculteurs composent et ajustent leurs aménagements au fur et à mesure que leurs contraintes, besoins et objectifs de production évoluent.

 

Des arbres qui ont disparu des parcelles…

Traditionnellement en France et en Europe, arbres et cultures se côtoyaient : arbres fruitiers et cultures maraichères ; oliviers, vignes et céréales ou arbres fruitiers ; arbres et élevages en Normandie, pré-vergers, bocages de l’ouest et des piémonts… La Dehesa ibérique, qui s’étend sur plusieurs milliers d’hectares, est aussi une image emblématique d’association entre arbres, élevage, production de glands et de bois…qui permet de diversifier les productions et de lutter contre la fermeture progressive des milieux.

Pourtant, après la seconde guerre mondiale, l’avènement de la mécanisation et l’utilisation de produits phytosanitaires ont progressivement transformé les systèmes agricoles, favorisant l’essor de grandes surfaces en cultures pures, dénuées d’éléments arborés car gênants pour le passage des outils mécaniques. Les divers remembrements ont également amené à la suppression de nombreuses haies.

En outre, la mise en place de la Politique Agricole Commune a été un facteur aggravant, incitant de nombreux agriculteurs à arracher des arbres ou des haies pour ne pas perdre leurs primes.

Ainsi, entre 1960 et 1980, environ 70% des haies présentes à l’apogée du bocage (entre 1850 et 1930) ont été supprimés, soit près de 1,5 milliards d’arbres ou arbustes — l’équivalent de plus de 20 millions d’hectares de forêt.

 

Une prise de conscience tardive ?

A la fin des années 1980, des agriculteurs ont constaté les dégâts causés sur le terrain : érosion, appauvrissement des sols en matière organique… L’arbre est alors apparu pour certains comme une solution pour protéger les parcelles, notamment contre l’effet du vent et du ruissellement.

Des agriculteurs pionniers ont alors expérimenté et mis en place des systèmes agroforestiers adaptés au fonctionnement de leur exploitation : les arbres sont par exemple disposés en lignes intercalaires avec les cultures, permettant ainsi le passage des outils agricoles.

Des systèmes optimisés et performants :

L’agroforesterie souffre toujours de l’image d’alignements d’arbres monospécifiques dans des parcelles céréalières, modèles développés il y a une trentaine d’années. Pourtant la Recherche et Développement et l’implication des agriculteurs ont aujourd’hui amené au développement de systèmes optimisés et performants, répondant aux objectifs des agriculteurs.

Les systèmes agroforestiers actuels cherchent à mimer le fonctionnement des écosystèmes naturels, notamment le modèle de la forêt, qui ne nécessite aucune irrigation ni intrants : divers étagements d’arbres, arbustes, herbacées…des sols structurés riches en micro et macro-organismes.

Aussi, ces systèmes allient plantation d’arbres et régénération naturelle et sont appréhendés avec une vision globale : chaque composante est en interaction avec les autres. Ces nouveaux aménagements ont la particularité d’intégrer une très grande diversité végétale. En premier lieu parce que l’on dispose aujourd’hui d’essences multiples, locales et adaptées, mais aussi grâce à la régénération naturelle et aux zones enherbées aux pieds des arbres qui sont autant d’espaces où la flore locale peut se développer.

Autre chose que la nature nous enseigne : des sols vivants sont des sols toujours couverts et peu travaillés. Ainsi, la gestion des arbres et des cultures avec différentes techniques telles que celles de conservation des sols (couverture permanente des sols, semis directs sous couverts, arrêt progressif du travail des sols) permettent de produire denrées alimentaires et bois, tout en protégeant et en fournissant de nombreux services à la collectivité.

Pourquoi associer arbres et cultures ?

L’arbre a d’abord un rôle de protection : protection des cultures, des animaux mais aussi du sol. Il joue un rôle de climatiseur réversible qui les protège tant du gel que de l’insolation.

Eau, azote, carbone, éléments minéraux… arbres et cultures utilisent les mêmes ressources. Il y a donc un risque de compétition. Il est cependant possible de transformer cette compétition en complémentarité entre les composantes ligneuse et herbacée, grâce à un aménagement et un choix d’essences judicieux. En trouvant le bon équilibre, notamment au niveau de la densité d’arbres à l’hectare, l’INRA a montré qu’il était possible de produire autant (bois+cultures) sur une parcelle agroforestière de 100 ha que sur une parcelle de 130ha où l’on aurait simplement juxtaposé arbres et cultures.

  • Protéger et améliorer la qualité de la ressource en eau :

L’agriculture est souvent pointée du doigt comme responsable de la dégradation de la ressource en eau : pollutions dues aux produits phytosanitaires, lessivage des nitrates…En compétition avec les cultures, l’arbre n’aura d’autre choix que d’établir son système racinaire en profondeur, sous les cultures. Grâce à son réseau racinaire, il agit en véritable filtre et limite ainsi la pollution diffuse dans les nappes phréatiques, captant les nitrates et ce que les cultures n’ont pas réussi à filtrer. L’ombre qu’il apporte, son effet brise-vent et sa transpiration créent un environnement plus humide, limitant les besoins en eau des cultures sous-jacentes. D’autres études se penchent également sur la capacité qu’aurait le système racinaire à remonter l’eau des couches profondes vers la surface pendant le cycle nocturne, créant ainsi un microclimat à l’échelle de la parcelle qui limite les pertes en eau.

 

  • Protéger et assurer le bien-être des animaux :

Les agriculteurs qui ont aménagé leurs parcours de volailles ou leurs prairies pâturées avec l’arbre sont unanimes: il procure du bien être aux animaux et améliore finalement les performances en élevage.

Les volailles qui disposent d’un accès à un enclos arboré sortent plus facilement des bâtiments et diversifient leurs sources d’alimentation. Par ailleurs, l’herbe au pied des arbres est plus appétante et riche, ce qui se traduit par des arômes dans le lait. Enfin, l’ombre permet d’éviter les coups de chauds. On observe souvent des gains de poids vif et une augmentation des quantités de lait produites.

  • Favoriser la biodiversité :

Les éléments arborés d’une parcelle reconstituent des habitats semis-naturels. Ils hébergent tout un cortège faunistique et floristique : mycorhizes, végétaux, insectes, oiseaux, reptiles, amphibiens, petits mammifères… qui associé à l’arbre, va profiter de son réseau racinaire, de ses branches, de ses feuilles, et de son tronc comme support, ressource alimentaire ou habitat.

Ainsi, en raisonnant les essences implantées, on peut favoriser la présence d’auxiliaires pour limiter le développement des ravageurs dans les cultures. Les haies abritent une faune sauvage et du gibier, et regorgent d’espèces mellifères pour les abeilles et autres pollinisateurs. A l’échelle de l’exploitation et du territoire, une trame écologique est recréée.

 

  • Régénérer les sols et stocker du carbone :

L’agroforesterie fait partie d’un ensemble de pratiques qui permettent de recréer des sols vivants au même titre que les techniques de conservation des sols : techniques culturales simplifiées, semis direct, couverts végétaux…Des sols vivants sont des sols structurés, amenant une vie biologique importante et donc de meilleurs taux de matière organique. « Avec les couverts végétaux, l’eau des pluies s’infiltre mieux et le sol ne part plus avec les gros épisodes pluvieux. Le sol est mieux structuré, avec plus de vers de terre. Je ne laisse aucune de mes parcelles en sol nu après la récolte, il est toujours couvert et je sème directement dedans. C’est moins de temps, moins de dépenses et le résultat est là : j’ai de meilleurs rendements et une hausse du taux de matière organique » explique Jack Delozzo, agroforestier à Noilhan dans le Gers.

Par ailleurs, les arbres sont de véritables puits de carbone. Ils ont la capacité de stocker du carbone dans le bois ainsi que dans les sols. Voici donc une nouvelle opportunité de pallier à l’augmentation des gaz à effet de serre.

 

  • Diversifier les revenus :

Grâce à l’agroforesterie, rien ne se perd.  « Les arbres de l’exploitation, que ce soient les alignements, les arbres têtards ou les haies sont d’excellentes ressources : ils fournissent du bois raméal fragmenté, du fourrage pour les animaux… et des billes de bois que mes enfants exploiteront ».

Le BRF, Bois Raméal Fragmenté issu des branches fraîches les plus fines, sert de paillage pour protéger le pied des arbres. Il permet en outre de régénérer le sol en recréant des processus biologiques et biochimiques semblables à ceux observés en forêt. Il constitue également une excellente litière pour les animaux. Les arbres têtards, quant à eux, fournissent du bois énergie qui peut être revendu à des filières locales pour la chaufferie.

L’arbre est donc multifonctionnel est constitue en outre un véritable capital sur pied, susceptible d’augmenter la valeur de l’exploitation.

Bien sûr, c’est un investissement à envisager sur du moyen ou long terme. C’est également une perte de surface pour les cultures qui étaient en place. Mais au regard de tout les services rendus, les agroforestiers reconnaissent que c’est un investissement gagnant, et qui pourra se transmettre aux générations futures. Sans compter qu’ils permettent une relocalisation des filières, participant à la création d’emploi et à la diminution du pillage des tropiques.

 

Planter, combien ça coute ?

Environ 15  euros par arbre, tout compris : achat du plant, plantation, protection, paillage.

En général, on préconise une densité de 50 arbres à l’hectare pour maximiser les interactions entre arbres et cultures. Il existe des mesures d’aides à la plantation au niveau national comme régional, telle que la mesure 222 du Plan de Développement Rural Hexagonal (PDRH).

L’homme au cœur du développement de l’agroforesterie

L’homme est l’élément central du changement de pratiques et du changement d’échelle.

Les agriculteurs sont au cœur de cette progression, mais ce ne sont pas les seuls. Collectivités, administrations, décideurs politiques, structures de développement….tous ont un rôle à jouer dans cette transition.

Actuellement, les idées reçues sur l’arbre persistent encore. Nombreux sont les agriculteurs qui perçoivent la plantation comme un retour en arrière, et considèrent l’arbre comme une gêne au passage mécanique, une perte de surface cultivable, ainsi qu’une compétition pour la culture. Ces notions sont légitimes, aussi il est plus que nécessaire d’informer, et de démontrer par l’exemple.

Bien sûr, l’agroforesterie commence à faire son chemin dans les esprits et nombreux sont les agriculteurs qui se sont lancés ou sont désireux de le faire. Certaines régions ont une dynamique assez importante telles que les zones sud-ouest, ouest et nord de la France.

Dans ce cas là, d’autres obstacles font souvent surface, tels que le manque d’accompagnement ou l’aspect dissuasif des cadres réglementaires existants. L’accompagnement ou le conseil en agroforesterie est bien souvent inexistant. Un département sur deux est totalement dépourvu d’offre de conseil ou de formation en agroforesterie. Or, les agriculteurs ne maitrisent pas forcément les compétences liées à la gestion de l’arbre ; et les techniciens forestiers n’appréhendent pas forcément celle de l’arbre hors forêt. Aussi, les exploitants sont souvent isolés dans leur démarche et il n’est pas rare de constater des plantations qui ont fini par dépérir, faute d’une gestion adéquate. Une des missions actuelles des différents partenaires soutenant l’agroforesterie est donc de structurer l’offre de formation et de conseil à l’échelle nationale, et de faire reconnaître le métier de Conseiller en Agroforesterie.

 

Heureusement, certaines collectivités et structures commencent à introduire l’agroforesterie dans leur gestion des territoires : plantation d’arbres et régénération des bords de routes et de champs pour limiter l’écoulement des eaux à l’échelle de bassins versants, utilisation des arbres et es couvertures végétales pour améliorer la ressource en eau à l’échelle d’un territoire, plantation d’arbres têtards par des société de gestion de bords de routes et d’autoroutes…

Les collectivités territoriales ont un rôle important pour le développement de ces pratiques car suite à un décret Ministériel récent, c’est aux Régions que reviendra le pilotage du Programme de Développement Rural, qui régit certaines mesures relatives à l’agroforesterie.

 

L’autre cheval de bataille est de favoriser l’évolution des réglementations liées à l’agroforesterie, au niveau national comme européen. La reconnaissance de l’agroforesterie dans les réglementations, et notamment celle de la Politique Agricole Commune (PAC) est relativement récente. Par ailleurs, les cadres actuels ne sont pas adaptés à la réalité du terrain et sont finalement souvent dissuasifs pour les agriculteurs.

Le contexte actuel de réforme de la PAC est une étape charnière pour y parvenir et tous les partenaires français et européens se sont mobilisés pour faire évoluer les mesures et ont soumis différentes propositions pour la réforme des textes. Si toutes n’ont pas été retenues, des points importants ont été adoptés.

 

Des perspectives encourageantes

Malgré certains blocages qui peuvent surgir, l’agroforesterie semble avoir un bel avenir devant elle. Outil au service d’une agriculture écologiquement intensive, elle permet de produire de la biomasse tout en recréant de la biodiversité au sein des parcelles, et recapitaliser du carbone dans les sols. C’est un cercle vertueux qui, en produisant biens et services, relocalise des emplois en recréant des filières pour l’exploitation des produits tels que le bois énergie.

Dans un contexte de changement climatique, de coût croissant des énergies fossiles et des intrants, l’arbre, parce qu’il produit et protège en même temps, peut retrouver sa place en agriculture.

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