Mettre des langues dans des boîtes ?

RÉFLEXIONS À PARTIR DES OEUVRES DE SAINT JERÔME, RICHARD SIMON ET ERNEST RENAN

Rabbi Shimon Ben Gamliel demanda à son esclave Tévi de lui ramener du marché de quoi préparer un bon plat. Celui-ci lui rapporta de la langue. Une autre fois, il lui demanda de lui ramener de quoi préparer un mauvais plat. Tevi lui apporta de la langue. Le rabbin s’écria : 

« Comment peut-on faire à la fois un bon et un mauvais plat avec de la langue ?!

– La langue, répondit Tévi, est source du bien autant que du mal. Quand elle est bonne, il n’est pas meilleur ; quand elle est mauvaise, il n’y a pas pire. »

Lévitique Rabba 33, trad. A. BOUGANIM, Le rire de Dieu. Perles du Talmud, Paris, Points, 2010, p. 60.

 

Introduction

Le langage humain pouvant être décrit tant comme un milieu qui détermine notre rapport au monde que comme un outil de communicationi, il est sans doute naturel que nous ayons tendance à classer les langues selon les mérites culturels ou utilitaires que nous leur attribuons à tort ou à raison. Ou, pour le dire de façon moins policée, à mettre des langues dans des boîtes… Découlant de notre capacité vitale à classer les phénomènes, mais provoquant aussi nombre de crispations, cette tendance attestée jusque dans l’histoire de la pensée paraît n’avoir pas épargné les esprits les plus brillants de leur temps, puisqu’on en trouve déjà trace chez saint Jérôme. Sous réserve des nuances à apporter, il est en effet étonnant de voir la manière différenciée dont le traducteur de la Vulgate traite l’hébreu d’une part, le grec et le latin d’autre part : le premier comme dépôt d’une vérité religieuse, les seconds comme outils qui permettent de mettre à jour et de diffuser cette vérité. C’est là, nous semble-t-il, l’une des origines lointaines des « fables savantes » des biblistes et linguistes modernes que Maurice Olender a mises en évidence dans son beau livre Les Langues du Paradis. Aryens et Sémites : un couple providentielii. Cette ligne de pensée relie nombre de points sensibles, certains relevant de débats contemporains, d’autres remontant aux réflexions des Anciens. Ainsi la question de la traduction, ou comment passer d’une boîte à l’autre.

Traduttore traditore : selon cet adage italien célèbre parmi les philologues, les philosophes et les théologiens, le traducteur serait inévitablement un traître contraint de déformer le sens d’un texte pour le couler dans les formes de la langue d’accueil. Faire passer le sens reviendrait ainsi à passer à l’ennemi. Cette vue curieuse s’avère néanmoins pertinente dans la mesure où chaque langue offre à ses locuteurs une vision du monde propre – bien que les langues d’un même groupe linguistique regardent souvent dans la même direction. Dans cette perspective, la traduction marque inéluctablement une vision tantôt plus floue, tantôt plus précise, toujours moins adéquate. Ce constat est une invitation bienvenue à retourner aux sources, à s’affronter au texte dans sa langue d’origine, c’est-à-dire, en ce qui concerne des textes de référence comme ceux de la Bible, en dehors d’une traduction autorisée devenue une tradition. Traduction, trahison, tradition : le sens est décidément le lieu de passages complexes. Entre la langue de l’auteur et celle du traducteur, la tradition interprétative de l’un comme de l’autre constitue un troisième terme qui gagne à être interrogé. Une vision du monde peut être déposée dans une tradition comme dans une langue, ces dernières allant éventuellement de pair… Aussi le traducteur qui démontre son talent par rapport à des langues, révèle-t-il parfois son génie par rapport à des traditions – mais n’en disons pas plus à ce propos, car qui voudrait faire l’apologie d’un traître ?

 

Saint Jérôme entre le fond hébraïque et les formes gréco-latines 

Du temps de Jérôme de Stridon (milieu du IVe – début du Ve siècle), langue et tradition pesaient – comme toujours ? – sur la Bible sous l’espèce de la Septante, traduction grecque réalisée au sein du judaïsme alexandrin pour des raisons encore discutées de nos joursiii. Traduction autorisée pour ceux qui s’appuyaient sur sa légende d’origine telle qu’exposée dans la Lettre d’Aristée (vraisemblablement rédigée dans la première moitié du IIe siècle avant l’ère commune), traduction inspirée pour ceux qui préféraient la version plus tardive rapportée par Philon d’Alexandrie (à cheval sur les Iers siècles avant et de l’ère commune), la Septante était devenue la Bible traditionnelle des communautés chrétiennes. Jérôme lui-même se défend d’avoir porté atteinte à ce statut, arguant qu’il ne serait pas assez sot pour vouloir oublier dans son âge mûr ce qu’il a appris à connaître dans son enfanceiv. Y a-t-il affirmation plus concise et plus touchante de la tradition dans la dimension affective qui participe de sa pérennité ? Il est d’ailleurs frappant de constater que la traduction latine de Jérôme, probablement réalisée à partir d’une version latine préexistante revue sur les langues originales, l’hébreu pour l’ « Ancien Testament » et le grec pour le Nouveau, ne deviendrait la Bible courante, la Vulgate, que des siècles plus tardv

Sans un mot sur l’avenir du latin dans l’Occident chrétien, Jérôme justifie son entreprise en convoquant des figures illustres du passé : d’abord Origène (fin IIe – milieu IIIe siècle) qui dirigea l’édition de la Bible en six colonnes (l’hébreu, l’hébreu translittéré en grec, le grec de la Septante et de ses trois révisions), les fameuses Hexaples dont ne subsistent aujourd’hui que quelques versets ; ensuite et surtout les auteurs du Nouveau Testament qui, lorsqu’ils citent l’Ancien, ne le font pas toujours d’après la Septantevi. Aussi la vérité hébraïque s’impose-t-elle à la fois comme la référence la plus antique, argument de poids dans l’Antiquité, et comme la référence la plus chrétienne, argument que Jérôme va développer de façon aussi radicale qu’étonnante. Ce faisant, Jérôme prend soin de ménager les traducteurs de la Septante, en leur assignant une autorité certaine, mais moindre que celle des auteurs du Nouveau Testament. En l’occurrence, Jérôme semble proposer une hiérarchie scripturaire sur le modèle de la hiérarchie ecclésiastique tirée d’une remarque de saint Paulvii : premièrement les apôtres, qui en son chef englobent les auteurs du Nouveau Testament ; deuxièmement les prophètes, de qui il ne parle pas mais de qui nous pouvons penser qu’ils ont été progressivement supplantés par les exégètes chargés d’examiner la conformité de leurs prophéties aux Ecrituresviii ; troisièmement les docteurs, parmi lesquels il compte vraisemblablement les exégètes et traducteurs, dont ceux de la Septante, bien que ces derniers ne fassent historiquement pas partie de l’Eglise. Aussi leur travail doit-il pour ainsi dire être mis à jour, à la lumière du Christ qu’ils n’ont pas connu ou qu’ils ont entrevu sans pouvoir le manifester, parce que son Heure n’était pas encore venue… Quelle qu’en soit la raison, la Septante occulte, selon Jérôme, le fort potentiel christologique de certains textes, surtout parmi les Psaumes et les couches apocalyptiques des livres prophétiques.

De notre point de vue, peut-être les traducteurs de la Septante ont-ils tenté d’oblitérer un messianisme dont la dimension politique risquait de porter préjudice aux communautés juives placées sous la tutelle d’un pouvoir civil polythéiste. Dans le même ordre d’idées, nous considérons qu’un texte comme le quatrième chant du serviteur dans le livre d’ Isaïe ou Esaïe a inspiré le récit de la Passion dans l’évangile de Marc, tandis que Jérôme ne pouvait guère le voir autrement que comme une annonce voilée du Christ en tant que serviteur souffrant. Par-delà ces différents méthodologiques aplanis à coup de siècles, la pensée de Jérôme a marqué l’histoire d’une empreinte qui mérite peut-être plus que jamais les études qu’on lui consacre. Plus encore, la Vulgate de Jérôme constitue, quoi qu’on en dise, une traduction digne d’intérêt : souvent fidèle, parfois biaisée par une idéologie devenue iobsolète toujours intelligente. L’on peut en dire autant de la Septante et de ses révisions, ainsi que de nombre de traductions contemporaines, dont aucune n’est jamais pleinement fidèle aux textes d’origine – comment le pourrait-elle ? –, ni exempte de parti pris –  chacune n’a-t-elle pas une vocation religieuse ou culturelle propre ? Dans le cas de Jérôme, la vérité hébraïque se voit pour ainsi dire canalisée par la doctrine chrétienne, et même, comme nous le
verrons ensuite, appelée à se couler dans des formes gréco-latines. Pour étayer cette double affirmation, nous retracerons brièvement l’histoire de deux versets que nous aimons citer en raison de leur caractère exemplatif : l’un tiré d’Esaïe, l’autre tiré de Zacharie, tous deux écrits en hébreu, traduits en grec dans la Septante, cités implicitement ou explicitement, partiellement ou totalement, dans le grec de l’évangile de Jean, pour être enfin traduits et/ou commentés par Jérôme.

Esaïe 53,10

– Bible hébraïque : « si elle est [dé]posée, sa vie, [en] sacrifice expiatoire, il verra une semence » ([dé]poser : siym ; vie : nêphêsh)

– Septante : « si vous [vous] donnez en ce qui concerne le péché, votre vie verra une semence » (donner : didômi ; vie : psychê)

– Vulgate : « s’il [dé]pose sa vie pour le péché, il verra une semence » ([dé]poser : ponere ; vie : anima)

– cf. Jean : « Je suis le bon pasteur ; le bon pasteur [dé]pose sa vie pour ses brebis. » ([dé]poser : tithêmi tên psychên ; Vulgate : ponere animam) (Jean 10,11 ; cf. 10,15.17 ; 13,37.38 ; 15,13)

Dans la Bible hébraïque, ce verset réfère au fameux serviteur dont l’exégèse historico-critique a pu faire une figure de la communauté d’Israël et/ou un personnage historique, éventuellement l’auteur lui-même. Son sacrifice est présenté comme bénéfique pour l’ensemble du peuple étendu aux générations futures ainsi que le souligne la notion de semence ou postérité. Quelle surprise de voir l’oracle relatif à ce mystérieux personnage devenir, dans la Septante, une recommandation morale destinée à l’audience ! Pour le coup, toute lecture messianique est désactivée, mais pas par méconnaissance de l’hébreu, dont deux mots semblent en effet servir de base à un réagencement complet de la phrase… D’une part, le même nom désigne le péché et le sacrifice offert en réparation du péché : occasion de trancher en grec en un sens politiquement correct qui élude la notion de sacrifice expiatoire ? D’autre part, la forme verbale traduite par « elle est déposée » peut être analysée, hors contexte, tant comme une troisième que comme une deuxième personne du singulier : prétexte à s’adresser à l’audience de façon collective ? Quoi qu’il en soit, force est de constater que la Vulgate restaure ici un sens hébraïque disparu de la Septante. Pour autant, cette restauration n’est pas gratuite, puisqu’elle permet l’identification du serviteur au Christ, et même la propose en observant une unité de traduction entre Esaïe et Jean… Si la formule johannique « déposer la vie » est bien reprise d’Esaïe, elle ne l’est manifestement pas de la version de la Septante. Par contre, la Vulgate remet cette reprise en évidence en traduisant de la même manière « animam ponere », coïncidence qui n’échappera pas au « lecteur diligent » que Jérôme appelle de ses voeuxix. Dans ce cas, Jérôme n’hésite pas à s’éloigner de sa pourtant chère Septante au nom de la vérité hébraïque et, sans doute plus encore, au nom de la doctrine chrétienne qui plaide ici en faveur de cette dernière. De fait, dans le cas suivant, si Jérôme s’en tient encore à la vérité hébraïque en tant que traducteur, en tant que commentateur il l’élargit de ses traductions ou citations grecques dans lesquelles il va jusqu’à déceler l’action de l’Esprit.

Zacharie 12,10

cité par Jérôme, Lettre 57, A Pammachius, sur la meilleure manière de traduire (Ad Pammachium de optimo genere interpretandi)

– Bible hébraïque : « ils tourneront leurs regards vers celui qu’ils ont transpercé »

– Septante : « ils regarderont vers moi, l’objet des danses [de triomphe] qu’ils ont organisées »
– Bibles latines : « et il regarderont vers moi, l’objet de leurs jeux » ou « de leurs insultes »

– cf. Jean 19,37 : « ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé »

En hébreu, le verset, difficile à analyser, peut être traduit par « ils regarderont vers moi au sujet de celui qu’ils ont transpercé » ; c’est Théodotion, auteur d’une révision juive de la Septante finalisée vers la fin du IIe siècle de l’ère commune, qui propose « ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé ». C’est également la traduction retenue par Jean, peut-être parce qu’elle a le mérite de focaliser le regard sur le Christ et son oeuvre à la croix, conformément à l’orientation générale de cet évangile. Bref, si Jérôme suit ici Théodotion, ce n’est pas seulement parce qu’il partage l’avis d’un éminent hébraïsant, c’est aussi parce qu’il s’en remet à la citation d’un évangéliste… Pour autant, il ne renonce pas aux autres traductions, qui elles aussi peuvent s’appliquer à l’oeuvre du Christ : les danses de triomphe n’évoquent-elles pas la jubilation des grands prêtres qui se croient débarrassés d’un adversaire ? Les jeux, la parodie de royauté mise en scène par les légionnaires avec la pourpre et la couronne d’épines, d’ailleurs mentionnée par le seul Jean ? Les insultes, les outrages subis dans ce même cadre ou, chez Marc et Matthieu, celles proférées par les passants et les co-crucifiés ? Toutes ces variantes de traduction de l’oracle de Zacharie sont valables aux yeux de Jérôme, en ce qu’elles illustrent l’un ou l’autre aspect de la Passion du Christ qui, toujours selon Jérôme, est l’objet de cet oracle.

Aussi peut-il sereinement prendre acte de cette variété :« Il y a discordance entre l’évangéliste d’une part, les Septante et notre traduction d’autre part;cependant, la divergence n’est que dans les mots, l’accord est dans l’unité de l’Esprit (Discrepat euangelista et Septuaginta nostraque translatio, et tamen sermonum uarietas spiritus unitate concordat) »x. Tout se passe comme si un unique événement, la crucifixion, était anticipé à travers d’inévitables zones d’ombre par le prophète, mis en rapport avec d’autres éléments par les traducteurs ultérieurs, mis en lumière de façon normative par l’ « évangéliste ». Dans ce cas précis, l’ « évangéliste » ne s’écarte pas de la vérité hébraïque, du moins pas aux yeux de Jérôme, mais il lui serait par ailleurs tout à fait loisible de le faire, car c’est son apanage que de déformer des citations pour les adapter au contexte narratif ou pour exprimer des maximes doctrinales (sententias dogmatum ponere)xi.

Sans s’égaler aux auteurs du Nouveau Testament ni se prévaloir à leur égard des accommodements dont eux-mêmes font parfois preuve vis-à-vis de leurs sources, il se réclame de leur exemple. Contraint de défendre ses principes de traduction, jugés trop éloignés de la lettre par Rufin, il stigmatise ses détracteurs qui, selon lui, appellent « exactitude de la traduction » ce que les gens instruits appellent « mauvais goût » (ueritatem interpretationis/kakozêlian en grec)xii. Il cite en exemple, ou plutôt en contre-exemple, la révision de la Septante par Aquila, juif prosélyte « qui s’est senti obligé de traduire non seulement les mots, mais aussi les étymologies des mots »xiii. A cette littéralité qui déguise l’hébreu en grec davantage qu’il le traduit, Jérôme oppose la libéralité qui consiste à traduire, non pas mot à mot, mais idée par idée (non uerbum e uerbo, sed sensum exprimere de sensu) ou, pour le dire avec Cicéron, à « donner au lecteur, non pas des mots de même nombre [que dans la version originale], mais des mots de même poids » (adnumerare/adpendere)xiv. A l’autorité de Cicéron, Jérôme ajoute celle des traducteurs de la Septante et plus encore des évangélistes qui, selon lui, ont observé le même principe. Tenir compte, non seulement des structures de la langue d’origine, mais aussi des structures de la langue d’arrivée, quoi de plus normal ? Malgré les efforts de Jérôme, cette norme ne s’imposa pas alors et ne s’est toujours pas imposée – à preuve l’heureuse diversité des traductions contemporaines de la Bible, de la plus littérale à la plus littéraire en passant par les différents niveaux de langue.

Mais autre chose se joue dans la position de Jérôme. La vérité hébraïque telle qu’il l’entend se voit dotée d’accommodements que le traducteur contemporain ne peut guère juger raisonnables : d’une part, elle n’est pleinement manifestée qu’autour de la figure du Christ ; d’autre part, elle n’est correctement diffusée que par le truchement du grec et/ou du latin. Non thématisés par Jérôme luimême qui posait d’autres questions, ces deux traits se retrouveraient respectivement, mutatis mutandis, chez Richard Simon (1638-1712), qui posa les fondements de la critique biblique, et chez Ernest Renan (1823-1892), qui élargit la philologie jusqu’à en tirer une histoire des religions encore imprégnée d’une histoire du salut.

Novateur par de nombreux aspects de son oeuvre, Simon ne put néanmoins assigner au problème de l’établissement du texte de la Bible (hébraïque) qu’une solution relative à l’enseignement de l’Eglise (catholique). Si son Histoire critique du Vieux Testament occupe la place qu’on lui connaît aujourd’hui dans toutes les bonnes introductions aux études bibliques, c’est largement grâce à Renan. Selon ce dernier, que l’on aurait tort de limiter à son indéniable antisémitisme, l’ « Ancien Testament » ressortirait à une sorte de dépôt sémitique, celui du monothéisme, qui n’aurait jamais pu devenir universel si les langues et peuples indo-européens ne l’avaient pour ainsi dire fait fructifier à travers le christianisme. De telles idées ne se trouvent-elles pas en germe chez Jérôme ? Avec ce dernier, nous n’en sommes certes qu’au niveau des textes : l’ « Ancien Testament » comme corpus qui en serait resté à une vérité obscure et figée s’il n’avait été réinvesti par une dynamique de citations néotestamentaires et de traductions concomitantes ou successives. Le niveau des langues, avec un grec et/ou un latin qui permettent de toucher une audience plus large mais qui ne doivent pas renoncer à eux-mêmes par fidélité excessive à l’hébreu, n’est pas conçu indépendamment de celui des textes de référence. Partant, le niveau des peuples n’est pas pris en compte autrement que par affiliation religieuse. Pour induire d’une langue la mentalité d’un peuple, sa religion, et jusqu’à sa place dans une histoire providentielle rythmée par l’évolution de l’humanité, il fallait sans doute, comme Renan, s’être construit intellectuellement à partir du romantisme allemand et de l’évolutionnisme des sciences humaines du XIXe siècle… A le lire, il fallait que la culture sémitique, monothéiste et figée, rencontrât la culture indo-européenne, polythéiste et industrieuse, qui se convertirait et propagerait le monothéisme au fil d’une histoire à proprement parler providentielle. Ce faisant, Renan sécularisait plus qu’il ne démantelait une histoire du salut désormais orientée par la culture des peuples plutôt que par la divinité. De fait, « [d]ans le courant du XIXe siècle,l’affaiblissement de la mythologie judéo-chrétienne, joint à d’autres causes bien connues, favorise le remplacement du Sens de Dieu dans le devenir du monde par le Sens de l’histoire. »xv. Vu l’importance déterminante du cadre historique dans cette sorte de sécularisation, comment s’étonner que Jérôme lui soit étranger ? Reste que le Père latin a marqué les études bibliques d’une empreinte qui, par-delà des siècles de changements intellectuels et institutionnels, apparaît jusque chez Simon et Renan.

• Richard Simon et la recherche du texte original

Tandis que Jérôme aimait à combiner les différentes traductions et citations d’un verset pour mettre en évidence ce qu’il tenait pour une unité spirituelle, Richard Simon se souciait de savoir quels versets, parmi le foisonnement de variantes qui les affectent rarement en profondeur, composaient le texte original de la Bible. Si la science moderne naissante reprend et prolonge l’epistêmê antique à travers notamment ses fameuses Bibles polyglottes, elle a en outre le désir et les moyens de s’intéresser aux différents manuscrits d’une même version. Par ailleurs, le rapport entre l’un et le multiple y est conçu de manière sensiblement différente : dans la numération comme en d’autres matières, nous rappelle Jacques Chopineau, l’unité est en général employée comme une totalité dans la pensée antique (on compte à partir de deux), comme une individualité dans la pensée modernexvi. Faut-il s’étonner, dès lors, que Jérôme tente de réunir les versions là où Simon cherche à réduire leur multiplicité à une seule version originale ?

Dans cette recherche de l’original, Simon se tourne bien entendu vers la Bible hébraïque et, comme Jérôme, suggère que la Septante, traduction juive conservée par les premiers chrétiens, oblitère malheureusement la christologie. 

Selon lui, c’est là l’origine de l’idée que les juifs auraient corrompu le texte et plus particulièrement falsifié les prophéties, afin de nier la messianité de Jésus : ce reproche n’aurait pas été inspiré par la Bible hébraïque, mais bien par la Septante, longtemps seule version connue de nombreux auteurs chrétiensxvii. Pour autant, la version hébraïque n’échappe pas à l’errance de toute tradition écrite d’avant l’imprimerie, et pour cause ! d’une part ses manuscrits les plus anciens ne nous sont pas parvenus. D’autre part, ceux qui nous sont parvenus par la voie canonique présentent des variantes et, surtout, les mots sont vocalisés. 

L’écriture hébraïque reposant initialement sur les seules consonnes, c’est à la lecture que se jouait la prononciation et, avec elles, le choix éventuel entre différents noms ou formes verbales possibles. Bien que des indications étaient sporadiquement employées auparavant, la lettre du texte ne serait donc fixée qu’avec les points-voyelles insérés dans l’ensemble du texte, assez tardivement dans le courant du premier millénaire de l’ère commune semble-t-il. Les écarts vis-à-vis d’un original devenu fort hypothétique pour nombre d’exégètes contemporains sont donc, dans le chef de Simon, aussi inévitables que fortuits. Le soupçon de falsification ainsi écarté l’est-il au prix du statut révélé de la Bible ?

Nullement, car, là où Jérôme pestait contre le principe d’une traduction mot à mot, Simon écarte l’idée d’une révélation mot à mot : selon lui, les auteurs bibliques ne transcrivent pas des mots directement issus de la bouche de Dieu dans une langue par là même promue à un rang divin, mais rédigent dans leur propre langue un message inspiré par Dieu. Cette position a le mérite de prévenir contre une idolâtrie du texte dont notre époque a, peut-être plus que tout autre, bien besoin. Elle permet aussi à Simon d’assigner aux biblistes la noble tâche de tenter de recomposer la version originale d’une Bible à la fois altérée en tant que tradition écrite et authentique en tant que révélationxviii. Cette tâche utile sur le plan philologique n’est pourtant pas nécessaire sur le plan théologique, car si la lettre vaut d’être reconstituée, ce n’est pas elle qui détermine la vérité de la Bible. Comme chez Jérôme, la vérité repose en dernière instance dans la doctrine chrétienne :

« (…) la Providence de Dieu a conservé l’Ecriture dans l’Eglise, en y conservant la pureté de la
doctrine et non pas en empêchant qu’on ne corrompît les Exemplaires de la Bible »xix.

En d’autres termes, la Parole de Dieu ne serait pas dans la Bible, mais dans son interprétation – son interprétation autorisée s’entend, le libéralisme ayant à l’époque des limites qu’il coûtait plus encore qu’aujourd’hui de franchirxx. Reste que le lien matériel avec la Parole, le texte, peut être endommagé sans porter préjudice au lien spirituel, l’Eglise… De même qu’une mère prévoyante laisse ses enfants jouer dehors en veillant à ce qu’ils ne se fassent pas trop mal, le Dieu providentiel de Simon laisse sa révélation subir les tribulations de toute tradition écrite en veillant à ce qu’elle préserve son sens dans l’institution ad hoc… Prévoyance et providence constituant un seul et même mot en grec, filons la métaphore : de même qu’il est bon pour les enfants de s’éprouver un peu, n’est-il pas salutaire pour la révélation de voir sa tradition textuelle quelque peu malmenée, de sorte à ne pas concentrer à tort la foi sur sa lettre ? Quoi qu’il en soit, il est frappant de voir comment Simon, en avance sur son temps, opère un retour, non seulement à la source hébraïque, mais également à la fontaine hiéronymienne.

Ernest Renan et la philologie science humaine par excellence

C’est une chose de considérer que dans la langue d’un peuple est déposée sa vision du monde, c’en est une autre de prétendre induire de cette langue quelque chose comme la mentalité de ce peuple. C’est pourtant bien cet ambitieux programme que Renan entend réaliser au moyen de la philologie que, en enfant de son siècle, il promeut au rang de science humaine par excellence. Le contraste lui aussi fort daté qu’il établit entre langues sémitiques et aryennes ou indo-européennes apparaît ainsi comme la clef d’un contraste entre les cultures concernées et leurs parts – fondatrices mais inégales – dans la civilisation.

Pour le dire sans les nuances apportées par Renan, la conjugaison sémitique, axée sur une différence entre accompli et inaccompli plutôt qu’entre passé, présent et futur, manifesterait une difficulté à s’inscrire dans le temps, et, dès lors, une immobilité étrangère à la dynamique indo-européenne du progrèsxxi. Dans le même ordre d’idées, l’absence de déclinaison et la prédominance de propositions coordonnées plutôt que subordonnées, entre autres, dénoterait une incapacité à articuler le multiple et, partant, un monothéisme qui relèverait pour ainsi dire de la monomanie. De l’autre côté d’une frontière linguistique et culturelle dont le Belge ne sait que trop bien le caractère pernicieux, des peuples indo-européens qui seraient mieux disposés à percevoir la complexité du monde et à y intervenir de manière spécifique. Là où les Sémites s’en remettraient dans tous les cas à un Dieu unique, les Indo-européens s’adresseraient selon le lieu et la circonstance à l’une ou l’autre de leurs nombreuses divinités qui, de surcroît, ont plus d’une fonction chacune. Renan prolonge ce distinguo jusque dans des paysages où s’opposeraient, d’une part, l’uniformité d’un désert qui serait ’expression la plus matérielle du monothéisme et, d’autre part, la diversité des vallées et des collines à la végétation variée et propice à un polythéisme bucolique avant d’être civique. La civilisation découlerait d’ailleurs, pour une large part, des peuples indo-européens versés dans les arts et les savoirs, mais aussi dans la conquête guerrière de territoires nouveaux. Au cours de leurs rencontres, les Sémites seraient restés des témoins immobiles des « avancées » du génie polymorphe des Indoeuropéens comme, plus tard, le judaïsme serait injustement réduit au rôle de repoussoir pour ainsi dire fossile d’un christianisme en pleine expansion. Car l’articulation du sémite et de l’indo-européen résiderait, précisément, dans le christianisme.

Le christianisme serait en effet la forme sous laquelle le monothéisme pouvait se répandre en dehors du berceau dans lequel, à en croire Renan, il aurait encore pu végéter longtemps sans l’originalité fondatrice de Jésus et l’énergie des apôtres, Paul en têtexxii. Les cultures indo-européennes se seraient montrées polymorphes jusqu’à se convertir, industrieuses et conquérantes jusqu’à convertir les autres, géniales dans l’intuition de doter ainsi la civilisation d’un fondement éthique et esthétique susceptible de se maintenir par-delà même la remise en question des normes religieuses. Ce mouvement remonterait à Jésus lui-même, qui aurait renouvelé le monothéisme ambiant avec un génie quasi indo-européen. Que l’on songe aux énergiques déclarations que Matthieu (5, 21.27.33.38.43) place dans sa bouche : « Vous avez entendu… eh bien, moi je vous dis… ». Outre la personnalité de Jésus, Renan met en évidence sa contrée d’origine, la Galilée, ce verdoyant « cercle des nations » (Galil ha-Goyim) si différent à l’en croire de l’aride et farouche Judée. L’attrait qu’a pu exercer ce tableau tient, pour une part non négligeable, à son indéniable qualité littéraire, à son accord avec l’idéologie de l’époque, et à sa claire composition par couples d’opposés. Peut-être emporté par cette esthétique certes douteuse et trop soucieux de la cohérence de son système, Renan semble avoir sous-déterminé des indices pourtant bien connus de lui qui ébranlent sérieusement la thèse du caractère originairement et strictement monothéiste des anciens Israélites et, plus largement, de ceux qu’on appellera, faute de mieux, les Sémites. C’est au prix de telles distorsions, hélas plus faciles à débusquer chez nos prédécesseurs que chez nous, que Renan a pu conclure :

« La Bible a ainsi porté des fruits qui ne sont pas les siens ; le judaïsme n’a été que le
sauvageon sur lequel la race aryenne a produit sa fleur. »xxiii.

Peut-on écrire l’histoire des religions en s’inspirant de la botanique, en distinguant les espèces en fonction de caractères fixes et en tentant néanmoins de suivre leur évolution ? Par-delà ce
questionnement central dans notre rapport aux penseurs du XIXe siècle, nous retrouvons chez Renan, modifié par les ruptures épistémiques, modelé par les intentions de l’auteur, explicité par les préoccupations du temps, le sentiment de Jérôme qu’un fondement religieux d’origine sémitique serait appelé à se couler dans des formes indo-européennes pour parvenir à sa vérité et à son universalité.

Conclusion ouverte

Vicissitudes révolues de disciplines devenues plus mûres et plus modestes ? Voire ! Dans l’apprentissage de l’hébreu et du grec bibliques, ne cédons-nous pas à des réminiscences de l’idée que « les langues aryennes, comparées aux langues sémitiques, sont les langues de l’abstraction et de la métaphysique, comparées à celles du réalisme et de la sensualité »xxiv ? Quand bien même serait-ce pour mettre en garde contre cette dimension métaphysique que prisait Renan, ce ne serait pas un progrès, mais une inversion des valeurs. Il est si tentant d’induire des structures de l’hébreu et du grec des mentalités tournées respectivement vers le devenir ou l’être, le vécu ou le concept, le concret ou l’abstrait xxv… Sans nul doute, il y a du vrai dans ce constat de langues et de cultures différentes ; mais n’y a-t-il pas aussi du surfait et du suspect dans cette si parfaite construction en miroir ? Certes, celle-ci permet de rendre compte de l’écart entre les orientations interprétatives suivies de préférence au sein de l’une ou l’autre culture. Citons la célèbre variation sur la formule de révélation de Dieu à Moïse en Exode 3, 14 : « Je suis/étais/serai qui je suis/étais/serai », quasi devenir de Dieu avec son peuple, à l’inaccompli en hébreu, versus « Je suis l’étant », être du Dieu transcendant dans le grec de la Septante. Ce contraste éclairant ne se joue pourtant pas, ou pas seulement, entre un hébreu concret tourné vers une compréhension « historique » de la divinité et un grec abstrait versé dans une théologie cosmique. En effet, la Septante n’observe pas seulement des principes philologiques imputables à la langue grecque de l’époque, mais aussi des principes
philosophiques et théologiques qui relèvent davantage de la culture grecque de l’époque, et surtout de la manière dont les traducteurs de la Septante entendaient y légitimer « leur » judaïsme. Paul serait-il plus juif qu’eux pour avoir traduit plus littéralement « je suis qui je suis » en évoquant son propre apostolat à travers une citation muette d’Exode 3, 14 (1 Corinthiens 15, 10) ?

Par ailleurs, l’on ne peut réduire le grec à cette fonction certes honorée de véhicule par excellence de la philosophie antique. Ce serait en effet oublier que cette langue censément abstraite et opposée en cela à l’hébreu, n’est pas seulement la langue des philosophes, mais aussi celle des mythographes – que l’unicité de la divinité transcendante ne taraude guère –, et même celle des glossolales ou de leurs sectateurs… Par ailleurs, au sein même de la philosophie, nombre de concepts majeurs ou mots réputés abstraits ont une histoire qui commence souvent au stade le plus concret : archê, commencement ou commandement en général avant de l’être en particulier dans un contexte cosmologique ; logos, pensée, parole ou mise en rapport avant d’être l’émanation et la médiation de la divinité transcendante ; pneuma, souffle des animaux avant d’être celui du monde et, partant, l’Esprit ; hamartia, fait de manquer le but avant de désigner le péché ; pronoia, prévoyance avant d’être providence ; etc. En regard de ces considérations, ne devrions-nous pas plutôt nous soupçonner nous-mêmes de travailler sur un modèle épistémique qui serait, au fond, une version sécularisée du paulinisme ? Comme si nous croyions au premier degré que « les Juifs demandent des signes, les Grecs recherchent la sagesse » (1 Corinthiens 1, 22), des catégories que Paul n’opposait que pour mieux les enlacer…

Plus largement encore, pourquoi la Bible devrait-elle être lue comme hébraïque ou gréco-latine ? Pourquoi certaines « langues religieuses » peuvent-elles être traduites, d’autres pas ? Pourquoi parlons-nous de l’anglais comme si son caractère « véhiculaire » résidait dans la nature même de cette langue et non dans l’usage que nous en faisonsxxvi ? Et si c’étaient là autant d’aspects d’une même tendance à « mettre des langues dans des boîtes », toutes bien rangées suivant les fonctions qui leur sont attribuées au fil de leur évolution, au gré des époques, au goût de ceux qui les parlent ou s’y refusent ? Que l’on songe à l’hébreu divin ou artificiel, au grec de la philosophie mais aussi de la glossolalie, au latin d’église ou de cuisine, à l’anglais de Shakespeare ou du marketing, à l’esperanto plein de promesses ou vide de culture, etc.

Comme nous le voyons à l’issue de ce parcours, nombre de questions pertinentes peuvent surgir lorsque nous prenons le temps, et le risque, d’entrer en dialogue avec des auteurs de qui les thèses, les méthodes, les préventions ont été dépassées, mais qui ont marqué leurs disciplines d’une empreinte qu’il nous faut apprendre à connaître si nous souhaitons suivre leur piste, ou la nôtre, à travers ces forêts de symboles que notre condition poétique nous appelle à traverser. Conscients de notre inclination, fonctionnelle mais simplificatrice, à mettre des langues dans des boîtes, oserions nous dire qu’il nous faut innover en renouant avec l’esprit d’avant ?

i. Souvent, la conception du langage-milieu prédomine dans la philosophie herméneutique dite continentale, et celle du langage-outil dans la philosophie analytique dite anglo-saxonne. Ceci doit bien sûr être nuancé, à commencer par la pensée de Wittgenstein selon qui l’être humain construit une image du monde par le langage, mais, pour autant, ne peut adopter une position de surplomb ni par rapport au monde, ni par rapport au langage. D’où la célèbre citation « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde » (Ludwig WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, 5.6, trad. Gilles-Gaston GRANGER, Paris, Gallimard, 1993). 

ii.Maurice OLENDER, Les Langues du Paradis. Aryens et Sémites : un couple providentiel, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1989. 

iii.Pour une introduction plus circonstanciée et une orientation bibliographique, nous nous permettons de renvoyer à Baudouin DECHARNEUX, Jacques CHOPINEAU, Fabien NOBILIO, Giuseppe BALZANO, Alexandre D’HELT, Bible(s). Une introduction critique, Fernelmont : E.M.E., 2010, pp. 125 s. 

iv.JEROME, Apologie contre Rufin, II, 24, introduction, texte critique, traduction et index par Pierre LARDET, Paris, Cerf, 1983, Sources chrétiennes n° 303.

v.Voir comme précédemment B. DECHARNEUX et al., op. cit., pp. 140 s. 

vi.JEROME, « Préface au Pentateuque », in Robert WEBER, Roger GRYSON et al., Biblia sacra iuxta uulgatam uersionem, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2005 (1969), pp. 3-4, reprise dans l’Apologie contre Rufin, II, 25. 

Vii.Cf. 1 Corinthiens 12, 28. Nous suivons Paul DECOCK, « Jerome’s Turn to the Hebraica Veritas and His Rejection of the Traditional View of the Septuagint », in Neotestamentica n° 42 /2, 2008, pp. 215 s. 

Viii.Voir particulièrement Alistair STEWART-SYKES, From Prophecy to Preaching. A Search for the Origins of the Christian Homily = Supplements to Vigiliae christianae LIX, Leiden/Boston/Köln, Brill, 2001. 

ix.JEROME, Lettre 57, A Pammachius. La meilleure méthode de traduction, in Lettres, t. 3, texte établi et traduit par Jérôme LABOURT, Paris, Les Belles Lettres, 1953, § 11, p. 71. Nous citons cette édition et cette traduction, parfois légèrement retouchée. 

x.Idem, § 7, p. 64. xi Idem, § 7, p. 63. xii Idem, § 5, p. 60. xiii Idem, § 11, p. 71. xiv Idem, § 5, pp. 59-60.

xi Idem, § 7, p. 63.

xii Idem, § 5, p. 60.

xiii Idem, § 11, p. 71.

xiv Idem, § 5, pp. 59-60. 

xv. Guy JUCQUOIS, Pourquoi les hommes parlent-ils? L’origine du langage humain, Académie Royale de Belgique, 2000, p. 17. Parmi les « autres causes », il faut compter « l’expansion européenne dans le monde, les prodigieux progrès scientifiques et économiques et les profonds changements politiques ». Dans ce cadre, l’auteur prend soin de poser un Renan emblématique des auteurs « [e]ncore influencés par le récit biblique [… qui] acceptent l’idée d’une origine biologique commune à toute l’humanité, mais expliquent les différences de civilisation qu’ils constatent par diverses circonstances historiques » (p. 23). Parents inégaux, les peuples seraient moins déterminés par des caractères physiques que par leur langue et leur culture, raison pour laquelle Renan préfère, à la notion de « race anthropologique », celle de « race linguistique ». Voir notamment Ernest RENAN, Histoire générale des langues sémitiques, 1855, in Œuvres complètes, édition établie par Henriette PSICHARI, Paris, Calmann-Lévy, t. 8, 1958, pp. 576 s. ; Des services rendus aux sciences historiques par la philologie, 1878, ed. cit., t. 8, pp. 1224 s. ; autres références et discussion chez M. OLENDER, op. cit., pp. 82- 89. 

xvi Jacques CHOPINEAU, « L’homme et son double », in Esprit d’avant n°6, juin 2009, version électronique à l’adresse
https://www.espritdavant.com/DetailElement.aspx?numStructure=79255&numElement=66819
 

xvii Richard SIMON, Histoire critique du Vieux Testament, 1685, réimpression Frankfurt, Minerva, 1967, pp. 102- 104. 

xviii Nous soulignons à la suite de M. OLENDER, op. cit., p. 46. 

xix R. SIMON, op. cit., p. 495. 

xx Pour avoir, entre autres, remis en question l’uniformité du Pentateuque et sa rédaction par Moïse, Richard Simon vit son Histoire critique frappée d’interdit en France, saisie à peine imprimée et en grande partie brûlée, avant d’être lui-même exclu de sa congrégation religieuse, l’Oratoire. 

xxi E. RENAN, Histoire générale des langues sémitiques, op. cit., pp. 143 s. et 157 s., présente, dès les deux premières sections de son ouvrage, le caractère central du monothéisme et le rapport entre mentalité et grammaire, pour y revenir notamment dans ses conclusions, pp. 576 s., à l’occasion d’une comparaison avec le polythéisme indo-européen dans le cadre plus large d’une évolution de l’humanité. Voir aussi M. OLENDER, op. cit., pp. 89-95. 

xxii Dans son introduction à la Vie de Jésus, 1863, ed. cit., t. 5, p. 80, Renan produit une sorte de repentir relatif à son projet original d’une histoire du christianisme qui aurait insisté davantage sur les doctrines que sur les hommes. « Mais j’ai compris, depuis, que l’histoire n’est pas un simple jeu d’abstractions, et que les hommes y sont plus que les doctrines […] les doctrines de la résurrection et du Verbe auraient pu se développer durant des siècles, sans produire ce fait fécond, unique, grandiose, qui s’appelle le christianisme. Ce fait est l’œuvre de Jésus, de saint Paul, des apôtres. » Par là, Renan justifie également le « tour biographique » de son ouvrage, influencé par son voyage en Palestine et sa découverte virtuelle des paysages de l’ancien Israël. L’importance de ce voyage ressort plus encore des carnets préparatoires édités par Prosper ALFARIC, Les manuscrits de la Vie de Jésus d’Ernest Renan, Paris, Les Belles Lettres, 1939, pp. 13-14, 16, 19-26, 31, et mis en parallèle avec les ouvrages publiés par M. OLENDER, op. cit., pp. 95-103. 

xxiii E. RENAN, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 1882, ed. cit., t. 5, p. 1143. 

xxiv E. RENAN, Histoire générale des langues sémitiques, op. cit., p. 160. 

xxv Dans ce cadre, le devenir ne réfère pas au prétendu dynamisme indo-européen, mais à l’incapacité sémitique supposée d’accéder à l’abstraction. Comme dans tout système comparatif, la valeur d’un terme ne dépend pas de lui seul, mais aussi des autres termes auxquels il est associé. 

xxvi Ou, pour reprendre une image orale de Jacques Chopineau, comme si l’escalier produisait l’ascension indépendamment de l’être humain qui y monte… Et encore un escalier se surplombe-t-il plus aisément qu’une langue.

Esprit d'avant