Pour un christianisme renouvelé 

En ce siècle qui commence, le temps est venu de s’interroger sur le devenir de ce qui fut longtemps la religion ordinaire de l’occident,  dans un monde devenu étranger aux dogmes et aux confessions anciennes. Non pas un monde étranger à toute recherche religieuse, mais étranger à une religion confessionnelle, dogmatique, autoritative, salvatrice, centralisée sur une histoire occidentale et ses concepts spécifiques.
 
Les « vérités » anciennes ne seront plus reconnues si elles sont transmises dans des habits anciens. Ce qui ne veut, évidemment, pas dire que le christianisme soit menacé dans ce qu’il a d’essentiel…
 
De fait, ceux qui pensent défendre telle tradition religieuse en maintenant  le langage qui, autrefois, véhiculait ces « vérités »… se trompent de combat.   On ne défend pas un produit parce qu’on défend son emballage. On ne défend pas le corps en défendant son habit.
 
Et ceux qui se réfèrent à un ancien conformisme « majoritaire » devraient se souvenir que majorité n’est pas vérité (sauf, bien entendu, pour les vendeurs et quelques politiciens). La Bible est pleine d’exemples où un seul a raison contre la majorité. Jésus n’était-il pas seul, lors de son arrestation ?
 
D’autre part : Dégraisser n’est pas amoindrir. C’est même le contraire qui est vrai. Certes, dans un premier temps, on peut avoir l’impression qu’un corps amaigri a perdu de sa substance. Mais si ce qui est « perdu » n’était que de la graisse : le corps allégé continue de vivre –et de vivre mieux. Telle est la situation d’un christianisme qui a –au fil des siècles-  accumulé bien des graisses inutiles –bien des discours incompréhensibles. Un retour aux sources peut, dès lors, prendre un visage de révolution.                   
 
En fait, un christianisme « dégraissé » est le seul qui puisse faire entendre un message essentiel à nos contemporains.  Aucun magistère ne peut mettre sur le même plan l’essentiel et l’accessoire. Voici venir le temps où le discours doit être « dégraissé » de l’accessoire qui le grossissait.
 
Sans doute, des « dégraissages » ont eu lieu dans le passé. Une église réformée a voulu, jadis, opérer un tel dégraissage. Pourtant, ce qui était révolutionnaire au seizième siècle peut sembler, aujourd’hui, bien enfermé dans son passé, voire conservateur. 
 
Plus près de nous, les églises catholiques du début du 20ème siècle étaient pleines de statues et d’images pieuses. Une piété populaire avait –disait-on- besoin de ces pagodes. Le style Saint-Sulpice a été une figure de l’église. Vint le temps où ce fatras superstitieux a cependant été mis dehors.
 
Comme jadis au temps de la réforme cistercienne, ces églises ont retrouvé un peu de la simplicité originelle. L’Evangile était parfois occulté par le poids des coutumes et par l’opacité des discours. Les styles et décorations n’étaient que l’expression figurée d’autres pesanteurs au plan de la pensée.
 
Mais si les styles ont changé, il reste un lourd héritage de formulations dogmatiques incompréhensibles. Tant que ces formulations étaient latines, elles ne choquaient pas un grand public ignorant du latin. Il suffisait alors de répéter des paroles sacrées reçues par tradition.
 
Mais le passage (en soi bien légitime) aux langues modernes  a fait ressortir l’étrangeté des formulations anciennes. De fait –sauf pour quelques spécialistes- dire le credo en latin choque moins que l’entendre en langue courante.   
 
Et d’ailleurs, traduire les mots ne revient pas à les expliquer. Transsubstantiation ou salut éternel, ne sont pas des termes plus clairs parce que l’on est passé du latin au français. Et comment un moderne , habitué, depuis l’école, à un univers global –sans haut, ni bas- pourrait-il comprendre l’expression, traduite du latin : « au plus haut des cieux » ? 
 
Quand à Trinité ou « deux natures » : rares sont ceux pour qui ces mots évoquent des réalités. Fidélité n’est pas simple répétition.  L’explication est sans doute difficile mais elle est devenue indispensable. Les formulations des pères conciliaires –nourris de philosophie grecque- ne sont pas toujours intelligibles aujourd’hui…
 
Naturellement, une opposition aux « vérités » officielles pouvait jadis valoir le bûcher. Le christianisme régnant avait d’ailleurs besoin de cette contrainte : pouvoir et « vérité » étaient liés. Mais ce christianisme totalitaire  ne pouvait pas maintenir ses prérogatives dans une société pluraliste, moderne : démocratique, multiculturelle et multi-religieuse.
 
On voit qu’une discussion sur les termes traditionnels de la doctrine n’est pas un débat stérile sur les mots. Les paroles résonnent là où elles ont un sens . Mais un mot qui ne rebondit pas, s’écrase, rigide et froid. C’est une parole de pouvoir.
 
 
• Changements … 
Dans le même temps, il importe d’être attentif à l’ouverture du regard de plusieurs milieux chrétiens actuels. Nombreuses sont les assemblées dans lesquelles sont mis en œuvre sincérité, partage, enthousiasme, simplicité, solidarité…
 
A l’inverse, dans certains milieux traditionnellement rationalistes, on voudrait parfois que le christianisme soit attaché à un langage ancien –voire superstitieux. Il y a ainsi un conservatisme antichrétien attaché à des oppositions qui ont autrefois marqué les débats entre « religieux » et « antireligieux ». Un tel combat, d’ailleurs, a parfois été juste.  Au demeurant, il fait partie de l’histoire.
 
Cependant, le monde a –plus que jamais- besoin de témoins (donc d’expériences), de prophètes (de porteurs de vision), de chercheurs de vérité (car la vérité doit être cherchée : elle n’est la propriété de personne). Les religions portent tout cela.
 
Les concrétions philosophico-théologiques qui encombrent  notre mémoire sont vouées à s’effacer, peu à peu.  L’Evangile est essentiel, non toujours les discours qui prétendent le transmettre. C’est ce que le siècle présent est invité –de mille manières- à redécouvrir.   
 
 
• Simplicité
Dans tous les cas, il nous faudra revenir à l’essentiel, retourner à la source, au commencement. Pour cela, de grands ancêtres peuvent nous éclairer.
 
Aucun penseur des origines chrétiennes n’a autant marqué les réformateurs que Saint Augustin. Luther était d’ailleurs, à l’origine, un moine augustin. Devenu guide d’une nouvelle église, il dit : « En dehors du seul Augustin, l’aveuglement des Pères est grand ! ».
 
Mais c’est à Calvin qu’il est ici fait brièvement référence. Le grand réformateur français a beaucoup lu et médité les écrits de Saint Augustin. Ce Calvin qui affirmait ne rien dire qui n’ait été dit, déjà, par Saint Augustin. Quoiqu’il en soit de cette opinion, relevons simplement qu’elle a été exprimée par un réformateur qui entendait –après des siècles de doctrine et d’église souveraine- revenir aux sources du christianisme.
 
Les points de contact sont évidemment nombreux entre le maître (Saint Augustin) et le disciple (Calvin). Un seul point est ici envisagé : le premier pas de ce long chemin appelé « connaissance ».
 
Ce retour à l’essentiel est –avec la nécessaire simplicité de l’expression- une préoccupation permanente des réformateurs. L’essentiel doit toujours pouvoir être dit simplement. Comme lorsque Jésus prêchait.
 
Les ajouts des siècles postérieurs doivent donc pouvoir être examinés de façon critique. Et une pensée claire ne doit pas être exprimée en un langage obscur. D’autre part, cependant, la simplicité peut être profonde. La complexité n’ajoute rien.
 
 
• Se connaître et connaître Dieu 
 
On cite souvent le fameux « noverim me noverim te » (« que je me connaisse ; que je te connaisse ») de Saint Augustin. Mais on a souvent oublié le contexte de ces paroles. Il s’agit d’un « soliloque » dans lequel Saint Augustin, parlant avec lui-même, dans un moment difficile, exprime ce qui est –à ses yeux- la prière la plus essentielle :
 
R-    Prie donc, le plus brièvement et le plus parfaitement qu’il te sera possible.
A-    Dieu, toujours le même : Fais que je me connaisse et que je te connaisse. Prière est faite.   (1)
 
Double connaissance qu’aucun discours, jamais, n’épuise. Sans source, fleuve et estuaire n’existeraient pas. De même, sans « connaissance » aucune « foi » ne peut exister. Religion n’est pas doctrine. L’habit n’est pas le corps. Revenons toujours au premier pas.
 
Une œuvre essentielle du jeune Calvin est l’«Institution de la religion chrétienne ». Première édition (latine) en 1536 (à Bâle) ; première édition française en 1541. A l’âge de 26 ans, Calvin entreprit cette « Institution » (« enseignement » -dans le langage de l’époque) qu’il dédia au roi de France (François 1er).
 
En ces temps troublés, le jeune réformateur veut dire ce qui lui paraît essentiel, le plus clairement possible. Citons le début du premier chapitre de cette œuvre :
 
« Toute la somme presque de notre sagesse, laquelle, à tout compter, mérite d’être réputée vraye et entière sagesse, est située en deux parties : c’est qu’en cognoissant Dieu, chacun de nous aussi se congnoisse. Au reste, combien qu’elles soyent unies l’une à l’autre par beaucoup de liens, si n’est-il pas toutesfois aisé à discerner laquelle va devant et produit l’autre » (2)       
 
Se connaître afin de connaître Dieu ou bien connaître Dieu afin de se connaître ? Le réalisme de Calvin lui interdit de dire laquelle de ces deux connaissances engendre l’autre. Ce serait d’ailleurs une définition purement verbale.   
 
Calvin ne fait que dire, en français, ce qu’Augustin disait en latin –chacun dans son style propre (et la concision latine ne peut être imitée !). Au-delà des siècles, et malgré des cultures parfois bien différentes, l’un et l’autre se réfèrent au même enseignement biblique et à la même personne de Jésus. 
 
• Permanence du religieux
 
Evidemment, la religion actuelle n’est pas celle des siècles passés. Et la religion de Calvin est datée –au moins dans son expression. D’ailleurs, l’intransigeance du réformateur serait, aujourd’hui, très inactuelle. La tolérance n’était pas une attitude courante, en ces temps de guerres des religions. Cependant, plusieurs fois, Calvin a mis le doigt sur l’essentiel. Les termes peuvent être datés, mais la réalité est la même. Et chez un profond penseur, la simplicité n’exclue jamais la justesse de vue.  
 
Mais aujourd’hui, les dogmatismes sont devenus étrangers à notre manière de percevoir le religieux. En sorte que « pour » ou « contre » relèveraient l’un et l’autre de combats d’arrière-garde. Les affirmations doctrinales font partie de l’histoire, mais elles ne sont plus guère comprises –ni senties comme essentielles. 
 
Certes, un Calvin ne pouvait pas, à son époque, penser Dieu autrement que comme une sorte de super-être distinct du monde des hommes. Et donc, il ne pouvait qu’exclure quiconque n’adhérait pas à cette vue. Revenons donc à la source –sans souci de polémique.  
 
Ce « premier pas » est en nous et hors de nous. Tout à la fois. Non pas comme une pensée (qui est unidirectionnelle), mais plutôt comme une sensation. Tournée vers moi et –dans le même temps- vers ce qui n’est pas moi. Et peu importe ici que cet Autre soit défini (par la pensée) de telle ou telle manière.
 
 Croyants et incroyants sont ici logés à la même enseigne. Les représentations « religieuses » traditionnelles sont aujourd’hui de peu de poids –lors même qu’elles ont jadis été déterminantes.
 
L’erreur –aujourd’hui comme hier- serait de croire que cette « connaissance » est de l’ordre de la pensée. Ce qu’on appelle « foi » n’est pas de caractère discursif. La foi n’est pas une croyance particulière. Pas plus que le vêtement n’est le corps –que, pourtant, il habille pour le regard. De même, la prière n’est pas dans les paroles qui apparemment la portent. Il importe de revenir à la source ou –pour le dire autrement- au commencement. 
 
 
(1) Citons le texte latin :
 « R- Itaque ora brevissime ac perfectissime quantum potes
    A- Deus semper idem, noverim me noverim te. Oratum est ». Soliloquia II,1,1. 
(2) Jehan Calvin : Institution de la religion chrétienne, Tome I, chapitre 1.