L’entre-deux comme unité du deux

Les deux ne s’ajustent jamais parfaitement; quand c’est le cas, ils fusionnent, ils ne font plus qu’un et le deux disparaît. On peut bien sûr revenir en arrière et voir ce que chacun (des deux) est devenu, ou quel fût son rôle dans cette fusion, cet ajustage. On peut même, comme Socrate, dans le Phédon, se demander quand 1 et 1 font 2 lequel des deux 1 provoque ce résultat.


Une petite anecdote reprend la même idée : Une mère envoie sa fille acheter deux mangues bien mûres, la fille en mange une en route, et donne l’autre à sa mère, qui s’étonne : »Où est la deuxième ? La fille répond : Mère, c’est celle-ci la deuxième ».

En général quand deux unités se rencontrent et tentent de faire ensemble quelque chose, les énergies que chacune apporte peuvent se combiner positivement, ou se neutraliser, ou se combattre, ou produire des effets surprenants (par exemple des résonances, des interférences – lorsqu’il s’agit de deux sources lumineuses: cela donne des zones totalement sombres et des zones suréclairées).

Parfois, les manques de chacune s’articulent avec ceux de l’autre sur un mode qui produit de nouvelles impulsions.

L’exemple le plus riche dans ce domaine est celui du deux parental. Deux parents peuvent être chacun irréprochable, leur lien peut être vivant et harmonieux, pourtant l’un des effets que cela produit, l’enfant, se révèle être « une catastrophe ».

D’autres fois, l’irresponsabilité de chacun se compose avec celle de l’autre et cela produit un enfant hautement responsable, presque trop, prêt à payer pour les deux et pour chacun.


En somme, ce que le deux produit de mieux c’est le tiers qui exprime l’impossible identité de l’un et de l’autre, mais aussi leurs tentatives d’ajointement, de contact, de rencontre.

L’émotion du deux c’est le tiers que produit leur croisement.

Si l’on reprend la petite histoire des mangues, on peut dire qu’entre les deux mangues se rejoue le rapport entre les deux femmes, et l’on sait qu’il implique rien de moins que la transmission du féminin[1].

 

[1] . Voir La haine du désir, chap. « L’entre-deux-femmes ».
L’entre-deux (Seuil, 1991) traite précisément de cet espace très vaste qu’instaure le 2 sous toutes ses formes.